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== Poésie == | == Poésie == | ||
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Vivre c’est être en infraction. | Vivre c’est être en infraction. | ||
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- Roberto Juarroz | - Roberto Juarroz | ||
Quatorzième poésie verticale - extrait | Quatorzième poésie verticale - extrait | ||
(toute son œuvre s'appelle Poésie Verticale avec des numéros) | |||
extraits | |||
Toujours au bord. | |||
Mais au bord de quoi ? | |||
Nous savons seulement que quelque chose tombe | |||
de l’autre côté de ce bord | |||
et qu’une fois parvenu à sa limite | |||
il n’est plus possible de reculer. | |||
Vertige devant un pressentiment | |||
et devant un soupçon : | |||
lorsqu’on arrive à ce bord | |||
cela aussi qui fut auparavant | |||
devient abîme. | |||
Hypnotisés sur une arête | |||
qui a perdu les surfaces | |||
qui l’avaient formée | |||
et resta en suspens dans l’air. | |||
Acrobates sur un bord nu, | |||
équilibristes sur le vide, | |||
dans un cirque sans autre chapiteau que le ciel | |||
et dont les spectateurs sont partis. | |||
De cette mi-lumière | |||
ou mi-ombre | |||
vers où pouvons-nous aller ? | |||
Vers plus de lumière, | |||
l'harmonie nous étouffe. | |||
Vers plus d'ombre, | |||
nos pas s'égarent | |||
Et ici | |||
nous ne pouvons pas rester. | |||
Il n'y a pas d'autre mi-lumière | |||
ou mi-ombre. | |||
D'ici, nous ne pouvons aller nulle part. | |||
A moins que nous trouvions un espace | |||
où lumière et ombre soient la même chose. | |||
Aujourd'hui je n'ai rien fait. | |||
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi. | |||
Des oiseaux qui n'existent pas | |||
ont trouvé leur nid. | |||
Des ombres qui peut-être existent | |||
ont rencontré leur corps. | |||
Des paroles qui existent | |||
ont recouvré leur silence. | |||
Ne rien faire | |||
sauve parfois l'équilibre du monde, | |||
en obtenant que quelque chose aussi pèse | |||
sur le plateau de la balance. | |||
Les personnages de mon rêve | |||
sont venu converser avec moi | |||
hors de mon rêve. | |||
Et cela, ils n’ont pas pu le supporter. | |||
Ils se sont sentis prisonniers | |||
des formes truquées | |||
de ce rêve à l’envers. | |||
je n’ai pas su les retenir. | |||
Je n’ai pas su créer pour eux un autre rêve au | |||
dehors. | |||
Un rêve véritable. | |||
Pourrai-je me remettre à présent | |||
à conserver avec eux au-dedans ? | |||
Tout communique avec quelque chose. | |||
Mais avec quoi communiquent | |||
les fleurs qui s’ouvrent la nuit ? | |||
Avec quoi communique | |||
la poitrine devenue mon dos ? | |||
Avec quoi communique | |||
la césure de la main amputée ? | |||
Avec quoi communiqueront mes mots | |||
au jour qui suivra ma mort ? | |||
Avec quoi communique | |||
l’absence si peu prolixe de dieu ? | |||
Avec quoi communiquent | |||
les images qui démantèlent les rêves ? | |||
Avec quoi communique | |||
celui qui joue seul avec concentration ? | |||
Quelque chose peut-être communique avec tout. | |||
Est-il seulement possible de concevoir | |||
quelque chose qui ne communique avec rien ? | |||
Absolument isolé, | |||
un zéro n’existerait même pas. | |||
Un bourdonnement de fond | |||
témoigne de la présence des choses . | |||
Nous avons besoin de la parole et du vent | |||
pour le supporter . | |||
. | |||
Un bourdonnement de fond | |||
dénonce l'absence des choses . | |||
Nous devons inventer une autre mémoire | |||
pour ne pas devenir fous . | |||
. | |||
Un bourdonnement de fond | |||
annonce qu'il n'y a rien | |||
qui ne puisse exister . | |||
Nous avons besoin d'un silence doublé de silence | |||
pour admettre que tout existe . | |||
. | |||
Un bourdonnement de fond | |||
souligne le froid et la mort . | |||
Nous avons besoin de la somme de tous les chants, | |||
du résumé de tous les amours | |||
pour pouvoir apaiser ce bourdonnement . | |||
. | |||
Ou bien un soir, | |||
sans autre condition que son ajour, | |||
un oiseau viendra se poser sur l'air | |||
comme si l'air était une branche . | |||
Alors cesseront tous les bourdonnements . | |||
Le plafond du rêve | |||
est peint d'une couleur étrangère au rêve. | |||
. | |||
Le plancher du rêve | |||
porte trace de lointaines latitudes . | |||
. | |||
La demeure du rêve | |||
est voisine d'autres demeures | |||
faites de matériaux différents . | |||
. | |||
Et l'habitant du rêve | |||
a l'étrange conviction | |||
de n'être pas né là . | |||
. | |||
Les rôles semblent permutés | |||
et les fonctions interverties . | |||
Tout rêve doit être remplacé par un autre . | |||
Mais l'inévitable échange n'est pas un rêve . | |||
On frappe à la porte . | |||
Mais les coups résonnent au revers, | |||
comme si quelqu'un frappait de l'intérieur . | |||
. | |||
Serait-ce moi qui frappe ? | |||
Peut-être les coups de l'intérieur | |||
veulent-ils couvrir ceux de l'extérieur ? | |||
Ou bien la porte elle-même | |||
a-t-elle appris à être le coup | |||
pour abolir les différences ? | |||
. | |||
Ce qui importe est que l'on ne distingue plus | |||
entre frapper d'un côté | |||
et frapper de l'autre . | |||
. | |||
Une invasion de paroles | |||
tente d'assiéger le silence, | |||
mais, comme toujours, échoue . | |||
. | |||
Elle essaie alors de coincer les choses | |||
qui habitent le silence, | |||
mais n'y arrive pas davantage . | |||
Elle va finalement encercler les paroles | |||
qui cohabitent.avec le silence, | |||
alors se produit l'imprévu : | |||
le silence se convertit en paroles | |||
pour mieux protéger les paroles | |||
qui cohabitent avec lui . | |||
. | |||
Et pendant que l'invasion des autres paroles | |||
se dissipe comme un souffle furtif, | |||
l'insolite s'accomplit : | |||
les paroles qui restent | |||
ressemblent alors beaucoup plus au silence | |||
qu'aux autres paroles . | |||
Qu'y a-t-il derrière les nombres ? | |||
Et qu'y a-t-il devant ? | |||
. | |||
Toutes les choses se meuvent, | |||
même les pierres et les morts . | |||
Les nombres ne se meuvent pas : | |||
ils cèdent la place à d'autres nombres . | |||
Quel est donc le lieu des nombres ? | |||
. | |||
Lorsque nous les écrivons sur un papier | |||
nous leur inventons un lieu, | |||
comme ils inventent parfois | |||
un lieu pour nous . | |||
. | |||
Toutes les choses veulent prendre notre place, | |||
mais les nombres, non . | |||
Ils ressemblent à l'être : | |||
ils ne sont en aucun lieu . | |||
. | |||
Mais qu'y a-t-il à l'intérieur des nombres ? | |||
Le simulacre de la mesure | |||
et les masques des signes | |||
nous ont fait oublier leur substance . | |||
. | |||
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