Ariane Bilheran

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Ariane Bilheran (2017)
Ariane Bilheran (2017)

Ariane Bilheran est normalienne (Ulm), psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, chargée de cours à l'Université, auteur, conférencière... :

Psychopathologie du pouvoir - 05 mar 2022

Extrait (6 minutes)

Transcription et source

Transcription
Il y a une crise de l'esprit : c'est à dire de considérer que les individus ne sont pas des êtres d'esprit mais sont au mieux des objets censés satisfaire une logique de consommation ou de production capitaliste extrême, au pire sont des inutiles qu'il convient de supprimer.

On entend dans les discours politiques ces notions là : des gens qui sont essentiels, pas essentiel, des métiers, des gens qui ne produisent plus rien, donc finalement c'est la production.

Quand on a eu les "motifs impérieux", le travail était un motif impérieux, mais la naissance d'un petit fils ou d'une petite fille ne l'était pas.

On était vraiment dans cette dimension.

Et ce que moi je trouve intéressant, c'est que précisément donc dans ses "Leçons sur la philosophie de la religion" Hegel...

Hegel c'est le philosophe de la philosophie du droit, c'est le philosophe de la philosophie de la phénoménologie de l'esprit...

Et donc il va se poser les questions fondamentales sur les garanties de la civilisation entre nous.

Et de ce fait, à un moment donné il va avoir ce constat dans la philosophie du droit, il va avoir ce constat que notre liberté se construit dans notre rapport intime. C'est à dire dans notre rapport intime à cette transcendance.

C'est à dire que si nous n'avons pas ça, si nous sommes dépossédés de cela, en réalité tout ce qui est liberté apparente n'en n'est pas.

Donc c'est une première chose : c'est constitutif du droit.

Donc on voit bien qu'il y a un rapport transcendant, il y a un rapport sacré à la fois sur l'individu et sur le droit.

Et ce philosophe qui est le philosophe de la rationalité, il faut quand même aussi le rappeler, va relier ce sentiment de liberté dans notre vie intime, à... il va en donner une définition qui en fait est la rencontre de l'amour inconditionnel, de l'amour infini à l'intérieur de nous.

Et ça je pense que c'est très intéressant parce que c'est le fondement de la charité.

J'insiste beaucoup sur la charité et pas sur la solidarité : c'est à dire qu'à un moment donné on va être happé par cette dimension d'amour qui nous dépasse et c'est là qu'on va poser les fondements de la civilisation.

C'est à dire que même si moi je suis en danger je vais aller aider l'autre je vais lui porter assistance, je vais lui porter secours.

Et j'avais cité Saint François d'Assise précisément pour son action avec les lépreux : là où on est clairement dans quelque chose qui est de l'ordre de cette transcendance qui nous dépasse mais qui se caractérise non pas par la haine, n'ont pas par "j'ai raison et je fais la guerre avec un prosélytisme", etc... mais par la question de cet amour infini.

Alors, du point de vue de la philosophie, Hegel va... je vais le citer un petit peu mais ça me paraît très important d'apporter cet élément : surtout que ce sont des textes assez méconnus et pourtant à mon avis assez majeurs, où il va dire, quand il va rappeler qu'on dit généralement « Dieu est amour », mais il va falloir comprendre ce que c'est que la nature de l'amour.

Et donc il va essayer de définir l'amour.

Et il va le définir ainsi, je le cite :

« avoir conscience, avoir le sentiment de cette identité d'être hors de moi-même et dans l'autre voilà l'amour.

Ma conscience n'est pas en moi mais dans l'autre.

Cet autre avec lequel seul j'ai ma satisfaction et la paix avec moi-même ».

Et c'est donc la paix qui se rencontrent dans un rapport à l'autre.

Et il va dire que à ce moment là on va acquérir un sentiment d'unité.

Et je le cite encore :

« Voilà l'amour. Et ce sont deux vaines paroles si l'on parle de l'amour sans savoir qu'il est tout à la fois la différenciation, nous sommes différents et le dépassement de cette différence. »

Donc on est vraiment aux antipodes d'une logique qui voudrait que l'autre soit identique à moi, soit le même que moi.

Et ça c'est la logique totalitaire : qui pense la même chose que moi, qui croit la même chose que moi, etc...

Je trouve intéressant, que là, avec l'apport de ces définitions on peut dépasser un certain nombre de clivages.

Source : https://tube.aquilenet.fr/w/jpb6jWoAXSAvjqB33o4hBB

Vidéo complète (1h15')

Source : https://youtu.be/_fDLrKSd2g4

Ressources

  • Un si fragile vernis d'humanité : Banalité du mal, banalité du bien, de Michel Terestchenko
    • Extrait au sujet de l'expérience de la prison de Stanford : « processus de dépossession de soi, de dépersonnalisation, de perte de son autonomie, qui conduit à briser toute conscience de sa propre identité, de son moi intime, mais aussi l'embrigadement dans une institution rationnellement organisée. »

Dissociation traumatique et déni - 29 jan 2022

Image utilisée sur le site d'Ariane Bilheran pour illustrer un article intitulé La langue trafiquée dans les îlots totalitaires

J'ai l'impression d'avoir entendu aujourd'hui (30 jan 2022) une clef essentielle de compréhension de ce que nous vivons collectivement depuis deux ans. Il s'agit d'un exposé rapide (6 min) d'Ariane Bilheran, présenté lors d'un congrès franco-italien rassemblant des personnalités de renommées internationales comme Giorgio Agamben, Ugo Mattei, etc... :

Transcription et sources

Transcription
La dissociation traumatique est un mécanisme psychologique puissant qui se met en place lorsque l'individu vit un éprouvé de terreur, lors d'une menace supposée ou réelle à son intégrité ou à celle d'autrui.

Elle peut être la conséquence d'une angoisse de mort terrible, par exemple sur soi ou sur autrui. Avec la dissociation traumatique le psychisme de l'individu se sidère, reste bloqué et n'a plus la capacité de penser ce qui lui arrive. C'est comme une blessure à ciel ouvert sur laquelle le psychisme tente de mettre des pansements, dits "mécanismes de défense", dont l'un d'entre eux et non des moindres est le fameux déni.

Le déni est l'incapacité de se représenter une réalité, vécue comme insupportable. Par exemple pour ce qui nous occupe, la représentation selon laquelle certains individus au pouvoir voudraient sciemment notre mal. Cette représentation peut engendrer un tel niveau d’angoisse que l'individu ne peut faire autrement que de la supprimer de son champ des possibles. Cela n'existe pas, cela ne peut pas exister. Le procédé est absolument inconscient pour les individus, il se déroule malgré eux.

Le régime totalitaire met en scène trois angoisses traumatiques majeures :

  • l'angoissent de mourir
  • l'angoissent de tout perdre
  • l' angoisse de morcellement.

Et il propose une idéologie ou croyances illusoire dans laquelle l'individu peut se croire à l'abri de traverser ces situations pourvu qu'il soit le bon élève obéissant. Le déni ayant permis la sidération de la pensée, l'individu est comme dépossédé de lui-même et fonctionne comme un automate. Le système totalitaire occupe alors le terrain de la vie psychique des citoyens par une autre une narration délirante, un discours de certitudes qui a réponse à tout. "Big brother" pense pour vous et vous prend en charge. Ne pensez plus et tout ira bien.

Voilà l'origine du phénomène que certains appellent "l'hypnose de masse". Sans la dissociation traumatique et le déni qui est apposé comme pansement de fortune sur la plaie ouverte, l'hypnose suggestives des médias de masse qui véhiculent l'idéologie totalitaire, ne pourrait pas agir avec autant d'efficacité. Les discours paradoxaux réitérés entraînant la sidération conduisent à l’anesthésie affective. En clair, on ne comprend plus rien, donc on ne réfléchit plus, on est violenté, donc on ne ressent plus, on est pris dans une illusion, donc on est dépossédé de son jugement, et ce, jusqu'à l'entrée dans la contagion délirante collective, la répétition fanatisés des discours de l'agresseur et sa défense idéalisée. C'est le fameux syndrome de Stockholm. La puissance du déni est aussi un indicateur de l'intensité du traumatisme. On peut supposer que ces vécus traumatiques sont des bombes à retardement.

La souffrance psychique est telle qu'elle entraînera un lot considérable d'addiction d'idées dépressive et de conduites à risques mais aussi des passages à l'acte violents sur soi-même : autodestruction, suicide ou sur autrui, agression, au fur et à mesure que le discours dominant du régime totalitaire déploiera ses nombreux paradoxes entraînant toujours davantage de confusion mentale.

La question qui devrait occuper principalement les études de psychopathologie et malheureusement ce n'est guère le cas, est : quelles sont les conditions de sortie du déni ?

Je vais proposer plusieurs pistes.

La première est de ne surtout pas parler de la représentation angoissante avec des individus dans le déni. Toute explication frontale sera vouée à l'échec car elle renforcera le déni.

La deuxième piste est de permettre à l'individu de se distancer de cette représentation angoissante et de son origine en parlant d'autre chose, en abordant un autre sujet sorti du contexte traumatique et ce, afin de réactiver les fonctions logiques et en rappelant la vie d'avant le traumatisme, dont surtout des repères fondamentaux plaisants et rassurants.

La troisième piste est d'essayer, dans la mesure du possible de ne pas couper le lien. Il faut comprendre qu'en voulant convaincre quelqu'un qui est dans le déni, nous exprimons notre propre angoisse de ce que les gens se réveillent face à cette dérive totalitaire. Nous transmettons un surcroît d'angoisse à un individu qui est déjà ravagée par un trop-plein d’angoisse.

La sortie du déni peut être progressive ou brutale. Dans ce dernier cas, il est important de se positionner en accompagnement bienveillant car les risques d'effondrement psychique sont réels. Parfois certains individus ne sortent pas du déni, car ils sont englués dans des faits manipulateurs, notamment la langue corrompue du régime totalitaire qui leur a ôté les outils conceptuels pour penser le réel. Le travail de déconstruction de l'embrigadement sectaire par la parole doit être entrepris avec patience et pédagogie. En rappelant l'origine des mots, le sens des mots, les différents paradoxes utilisés par le pouvoir totalitaire pour paralyser la pensée. Il est également indispensable d'articuler une chronologie des faits et d'organiser la pensée à partir de l'origine. Comment tout ceci a commencé, sur quels critères, quels fondements, quelles valeurs, quelles légitimités, quelles vérités ?

Un édifice construit sur du mensonge et du secret pervers, est voué à s'écrouler tôt ou tard.

Je vous remercie de votre attention.

Sources

Le chemin pour sortir du traumatisme - The path out of trauma - Ariane Bilheran & Reiner Fuellmich - 22 nov 2021

Sources

Transcription

Points commun des personnes ne tombant pas dans le piège
Résistance Totalitarisme
Intérioriser une certaine autonomie. L'individu n'est rien, restons tous collés, le corps collectif est tout.
Accepter notre finitude. Le temps n'existe pas, le totalitarisme vise l'expansion spatiale. Délire d'immortalité (transhumanisme).
Clarifier les places et avoir un ancrage de vérité. Règne du mensonge, de l'arbitraire et de l'injustice.
Capacité psychique à surmonter les traumatismes. Le totalitarisme traumatise, mais dit : « ce n'était pas grave, c'est rien, c'est pour votre bien ».
L'ancrage avec la réalité (en psychologie "le principe de réalité"). La prise en charge totale de la souffrance de l'existence et le retour à un paradis perdu.
Extraits de la vidéo
Commité Corona :

« Pourquoi des personnes ne tombent pas dans le piège, indépendamment de leur niveau d'étude ou de leur statut ? Quel est le point commun entre ces personnes ? »

Arianne :

« J'ai plusieurs hypothèses.

La première c'est que ce sont des profils autonome qui sont capables d'être isolés des groupes. Cela suppose dans son développement psychologique d'avoir intériorisé une certaine autonomie, c'est à dire la capacité à respecter les lois même si à l'extérieur ça ne fonctionne plus. Même si à l'extérieur tout est transgression (ce qui est le cas du totalitarisme). Il y a une autonomie interne qui a été acquise dans le développement psychologique de la personne.

Dans cette première hypothèse ce sont des individus qui ont réellement intégré les interdits fondamentaux de civilisation notamment l'interdit du meurtre.

J'ai relevé cinq points pour les personnes qui ne rentrent pas dans les délires) donc le premier, capacité d'isolement, d'autonomie. Je vais juste à chaque fois dire ce qu'est l'inverse pour le totalitarisme. Le totalitarisme, sa proposition c'est : "l'individu n'est rien, restons tous collés le corps collectif est tout". Ça c'est le premier point.

Deuxième point : ce sont des profils qui ont intériorisé accepté dans leur développement psychique notre finitude. C'est quoi notre finitude ? Je ne suis pas tout, ni sur un plan spatial, ni temporel, je n'ai pas tous les droits et je vais mourir.

Le point numéro deux est très important : psychologiquement la vie c'est une perte. C'est à dire, nous sommes en train d'avancer dans le temps donc ça nous rapproche de notre mort, nous ne pouvons pas tout avoir nous ne pouvons pas avoir tous les pouvoirs, c'est à dire nous sommes des êtres limités. Par exemple dans ce deuxième point nous avons conscience du temps qui passe et nous avons conscience que nous n'occupons pas tout l'espace. Pour le totalitarisme le temps n'existe pas, il fonctionne de façon circulaire et immobile et le totalitarisme vise l'expansion spatiale. Dans le transhumanisme il y a le délire d'immortalité.

Troisième point : une capacité à clarifier les places et avoir un ancrage de vérité. L'ancrage de vérité, c'est à dire la capacité de faire la distinction entre la vérité le mensonge, ça va avec la capacité morale. Du point de vue psychologique ça va ensemble. La capacité à distinguer le bien, le mal, parce qu'il peut pas y avoir de justice si on ne recherche pas la vérité. Et à l'inverse le totalitarisme c'est le règne du mensonge, de l'arbitraire et de l'injustice.

Quatrième point : la capacité pour la personne psychique de surmonter les traumatismes. Ça ça peut venir de l'expérience passée. Et une capacité en même temps de prendre de la distance par rapport au discours qui sont mis sur le trauma. Parce que le totalitarisme il traumatise, mais il dit : « ce n'était pas grave, c'est rien, c'est pour votre bien ».

Cinquième point : l'ancrage avec la réalité. Moins les personnes auront fait des études plus elles seront en lien avec la réalité de l'expérience, c'est à dire moins elles seront dans le discours et plus dans l'expérience, moins elles sont manipulables.

Voilà, en clair, l'exemple que je prends : si on vous raconte, et on vous fait un grand doctorat sur le fait qu'il faut absolument, c'est bien, d'arroser une plante avec de l'essence, quelqu'un qui est juste dans la réalité de l'expérience, sait que ça n'est pas bien. Il ne sait pas l'expliquer mais il sait juste que ça n'est pas bien. Et c'est ce qu'on appelle en psychologie "le principe de réalité".

Par exemple il est certain que des gens qui ont déjà vécu des situations de type totalitaire, dans des entreprises, dans leurs familles qui en sont sorties et qui ont traversé plein traumatisme par rapport à ça, sont beaucoup plus immunisés aujourd'hui à ce qui se passe, que les autres. Enfin moi je le vois chez mes patients. Comme la magnifique Vera Sharav (moi j'adore).

Quelle est la promesse ? Il faut comprendre pourquoi ça fonctionne le totalitarisme. Ça fonctionne sur la population parce que dans le totalitarisme il y a une promesse qui est faite (qui ne sera pas tenue, bien-sûr). La promesse aux populations c'est la prise en charge totale de la souffrance de leur existence et le retour à un paradis perdu.

C'est une tentation pour la majorité de régresser dans les bras de maman et de ne pas prendre ses responsabilités. »

Covid-19 : un totalitarisme “sanitaire“ ? - 23 août 2021

Sources :

« Le monde est-il devenu fou ? » sur Radio Canada le 30 déc 2020

La polarisation du débat public, signe de la psychose paranoïaque de notre temps (durée : 23')

« On n'a plus le droit de penser de façon différente ou marginale; on n'a plus le droit d'emprunter certains chemins de pensée. Ceci n'est pas autoritaire : ceci est totalitaire », affirme la psychologue et écrivaine Ariane Bilheran pour décrire la polarisation extrême des idées. La docteure en psychopathologie, qui a publié un essai intitulé Le totalitarisme et le choix de vie héroïque, déplore qu'il n'y ait plus d'espace pour la nuance dans l'espace public ou encore un espace tiers pour penser. « Nous sommes criminalisés, marginalisés dès que nous apportons une nuance par rapport à ces deux clans. [...] Ceci est extrêmement grave, et fonde aussi ce qui appartient au registre de la psychose paranoïaque, c'est-à-dire la certitude délirante. »

Articles

  • Le moment paranoïaque (le déferlement totalitaire) face à la dialectique du maître et de l’esclave - 1 sept. 2020
    • Extrait :

      Il y a, face au délire paranoïaque, et c’est toujours la même histoire, ceux qui sont convaincus par l’analyse, la démonstration (et pas forcément les intellectuels, dont les études en psychologie sociale ont malheureusement démontré la soumission majoritaire aux systèmes totalitaires), et voient le danger arriver, et ceux qui ont besoin d’expérimenter la paranoïa dans son moment totalitaire de destruction massive pour être forcés d’ouvrir leurs yeux qui seront remplis de larmes. C’est ainsi, et nous devons je crois travailler à l’accueillir avec compassion, sans engendrer davantage de frustration, de colère, ou d’agressivité.
      La vague totalitaire, nous l’expérimentons, elle arrive.

Pages connexes