Dissociation traumatique et déni

Ariane Bilheran est normalienne (Ulm), psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, chargée de cours à l'Université, auteur, conférencière...

Dissociation traumatique et déni - 29 jan 2022

J'ai l'impression d'avoir entendu aujourd'hui une clef essentielle de compréhension de ce que nous vivons collectivement depuis deux ans. Il s'agit d'un exposé rapide (6 min) d'Ariane Bilheran, présenté lors d'un congrès franco-italien rassemblant des personnalités de renommées internationales comme Giorgio Agamben, Ugo Mattei, etc... :

Transcription et sources

Transcription
La dissociation traumatique est un mécanisme psychologique puissant qui se met en place lorsque l'individu vit un éprouvé de terreur, lors d'une menace supposée ou réelle à son intégrité ou à celle d'autrui.

Elle peut être la conséquence d'une angoisse de mort terrible, par exemple sur soi ou sur autrui. Avec la dissociation traumatique le psychisme de l'individu se sidère, reste bloqué et n'a plus la capacité de penser ce qui lui arrive. C'est comme une blessure à ciel ouvert sur laquelle le psychisme tente de mettre des pansements, dits "mécanismes de défense", dont l'un d'entre eux et non des moindres est le fameux déni.

Le déni est l'incapacité de se représenter une réalité, vécue comme insupportable. Par exemple pour ce qui nous occupe, la représentation selon laquelle certains individus au pouvoir voudraient sciemment notre mal. Cette représentation peut engendrer un tel niveau d’angoisse que l'individu ne peut faire autrement que de la supprimer de son champ des possibles. Cela n'existe pas, cela ne peut pas exister. Le procédé est absolument inconscient pour les individus, il se déroule malgré eux.

Le régime totalitaire met en scène trois angoisses traumatiques majeures :

  • l'angoissent de mourir
  • l'angoissent de tout perdre
  • l' angoisse de morcellement.

Et il propose une idéologie ou croyances illusoire dans laquelle l'individu peut se croire à l'abri de traverser ces situations pourvu qu'il soit le bon élève obéissant. Le déni ayant permis la sidération de la pensée, l'individu est comme dépossédé de lui-même et fonctionne comme un automate. Le système totalitaire occupe alors le terrain de la vie psychique des citoyens par une autre une narration délirante, un discours de certitudes qui a réponse à tout. "Big brother" pense pour vous et vous prend en charge. Ne pensez plus et tout ira bien.

Voilà l'origine du phénomène que certains appellent "l'hypnose de masse". Sans la dissociation traumatique et le déni qui est apposé comme pansement de fortune sur la plaie ouverte, l'hypnose suggestives des médias de masse qui véhiculent l'idéologie totalitaire, ne pourrait pas agir avec autant d'efficacité. Les discours paradoxaux réitérés entraînant la sidération conduisent à l’anesthésie affective. En clair, on ne comprend plus rien, donc on ne réfléchit plus, on est violenté, donc on ne ressent plus, on est pris dans une illusion, donc on est dépossédé de son jugement, et ce, jusqu'à l'entrée dans la contagion délirante collective, la répétition fanatisés des discours de l'agresseur et sa défense idéalisée. C'est le fameux syndrome de Stockholm. La puissance du déni est aussi un indicateur de l'intensité du traumatisme. On peut supposer que ces vécus traumatiques sont des bombes à retardement.

La souffrance psychique est telle qu'elle entraînera un lot considérable d'addiction d'idées dépressive et de conduites à risques mais aussi des passages à l'acte violents sur soi-même : autodestruction, suicide ou sur autrui, agression, au fur et à mesure que le discours dominant du régime totalitaire déploiera ses nombreux paradoxes entraînant toujours davantage de confusion mentale.

La question qui devrait occuper principalement les études de psychopathologie et malheureusement ce n'est guère le cas, est : quelles sont les conditions de sortie du déni ?

Je vais proposer plusieurs pistes.

La première est de ne surtout pas parler de la représentation angoissante avec des individus dans le déni. Toute explication frontale sera vouée à l'échec car elle renforcera le déni.

La deuxième piste est de permettre à l'individu de se distancer de cette représentation angoissante et de son origine en parlant d'autre chose, en abordant un autre sujet sorti du contexte traumatique et ce, afin de réactiver les fonctions logiques et en rappelant la vie d'avant le traumatisme, dont surtout des repères fondamentaux plaisants et rassurants.

La troisième piste est d'essayer, dans la mesure du possible de ne pas couper le lien. Il faut comprendre qu'en voulant convaincre quelqu'un qui est dans le déni, nous exprimons notre propre angoisse de ce que les gens se réveillent face à cette dérive totalitaire. Nous transmettons un surcroît d'angoisse à un individu qui est déjà ravagée par un trop-plein d’angoisse.

La sortie du déni peut être progressive ou brutale. Dans ce dernier cas, il est important de se positionner en accompagnement bienveillant car les risques d'effondrement psychique sont réels. Parfois certains individus ne sortent pas du déni, car ils sont englués dans des faits manipulateurs, notamment la langue corrompue du régime totalitaire qui leur a ôté les outils conceptuels pour penser le réel. Le travail de déconstruction de l'embrigadement sectaire par la parole doit être entrepris avec patience et pédagogie. En rappelant l'origine des mots, le sens des mots, les différents paradoxes utilisés par le pouvoir totalitaire pour paralyser la pensée. Il est également indispensable d'articuler une chronologie des faits et d'organiser la pensée à partir de l'origine. Comment tout ceci a commencé, sur quels critères, quels fondements, quelles valeurs, quelles légitimités, quelles vérités ?

Un édifice construit sur du mensonge et du secret pervers, est voué à s'écrouler tôt ou tard.

Je vous remercie de votre attention.

Sources