Différences entre les versions de « Patrick Viveret »

Aller à la navigation Aller à la recherche
12 807 octets ajoutés ,  23 février 2020 à 11:27
Ligne 33 : Ligne 33 :


{{#widget:youtube|id=qzWCiAv1YPM}}
{{#widget:youtube|id=qzWCiAv1YPM}}
{| class="wikitable mw-collapsible mw-collapsed" width="640px"
!Transcription
|-
|
<poem>
Traducteur: Marie VI Relecteur: eric vautier
La désobéissance, je suis tombé dans la potion
il y a déjà pas mal de temps,
et notamment quand j'avais 20 ans,
puisque j'étais en 68 dans un lieu qui a joué un rôle important,
puisque c'était la cité universitaire et la faculté de Nanterre.
Et je suis toujours resté marqué par les idéaux de 68,
à la différence de beaucoup de mes camarades de l'époque.
Ce sont des idéaux qui ont continué à me faire vibrer,
qui me paraissent même d'une étonnante actualité,
à une époque où, précisément à cause des enjeux écologiques,
nous avons impérativement besoin
de changer de mode de production, de consommation, de mode de vie.
Eh bien oui, l'alternative au « métro boulot dodo »,
l'alternative à la société de consommation, de compétition,
me semble toujours actuelle.
Et puis en même temps, et probablement, c'est le bénéfice de l'âge,
puisque l'année prochaine, je n'aurai plus 20 ans, j'en aurai 70,
ce sera les 50 ans de cette année 68 qui n'a pas été seulement française
parce que 68, ça a été une fracture mondiale,
d'est en ouest, du nord au sud.
Rappelons-nous le Viêt-Nam, la Tchécoslovaquie, Berkeley, etc.
Et en même temps, je fais retour sur mes idéaux de 68
et je me pose cette question : qu'est-ce qui a manqué ?
Et qu'est-ce qui a manqué, y compris dans ma propre vie personnelle ?
Parce que je me souviens, qu'à la fois,
je vivais l'intensité de cette prise de parole,
de cette aspiration à changer le monde, à changer la vie.
Et en même temps, quelque chose ne tournait pas rond.
Ce qui ne tournait pas rond, c'est que,
ce qui me passionnait intérieurement
qui était la question du rapport à l'amour,
la question du rapport au bonheur, la question du rapport au sens,
eh bien, quand je me tournais autour de moi
vers mes camarades révolutionnaires,
on me disait : « Mais non, ça, c'est petit bourgeois.
Tu n'as pas le droit de mettre au centre ces questions-là,
ce ne sont pas des questions politiques,
ce ne sont pas des questions collectives. »
Eh bien, d'une certaine façon, aujourd'hui, je dis : « Si ! »
Et je dis d'autant plus « si » que, si je reprends
une grande question qui est au centre de nos enjeux, de nos résistances,
de nos débats actuels,
surtout après l'irresponsabilité écologique de Donald Trump
et son refus d'accepter l'accord de Paris,
qui est ce fameux problème du dérèglement climatique.
Cet enjeu du dérèglement climatique,
il n'est pas simplement du côté du réchauffement,
il n'est pas simplement du côté de sa version écologique.
Il a une double face, le dérèglement climatique.
Et cette autre face,
c'est, comme le dit mon ami Abdennour Bidar,
la face de la glaciation.
De la glaciation émotionnelle et relationnelle.
Il fait froid dans nos sociétés de compétition et de consommation.
Et on comprend bien le lien direct entre ces deux aspects, parce que,
plus nous sommes dans la dépression, plus nous sommes dans la solitude,
et plus nous compensons par la consommation,
par la boulimie d'énergie.
Et donc nous ne pouvons combattre, aussi bien personnellement que collectivement,
contre la version écologique du réchauffement climatique,
que si nous combattons aussi
contre la glaciation relationnelle et émotionnelle.
Mais à ce moment-là, nous avons besoin, effectivement,
comme le dit Pierre Rabhi,
d'aller vers des sociétés plus frugales, vers des sociétés plus sobres.
Mais encore faut-il que cette sobriété soit heureuse,
sinon nous sommes dans la situation
de proposer un sevrage à un toxicomane.
S'il n'a pas une espérance positive,
il préfèrera encore rester avec son addiction.
Alors oui !
Comment cette sobriété peut-elle être heureuse ?
Cela veut dire que cette question du bonheur,
cette question de l'amour, cette question du sens,
parce que les trois vont ensemble,
il nous faut les replacer aussi bien au cœur de nos vies personnelles
qu'au coeur de nos projets collectifs.
Seulement là, patatras !
Parce qu'il suffit de regarder les expressions populaires
à propos du rapport à l'amour, à propos du rapport au bonheur,
à propos du rapport au sens,
pour comprendre qu'il y a un énorme problème.
Parce qu'effectivement, quelles expressions utilise-t-on
quand nous devenons amoureux, quand nous devenons amoureuses,
on tombe amoureux.
Quand une femme va donner la vie, elle tombe enceinte.
L'amour est associé à la chute. (Rires)
C'est Hervé Bazin qui, à propos de la durée, parce qu'à la rigueur,
on accepte que l'amour soit dans un temps éphémère
mais dès que ça se prolonge, c'est la catastrophe.
Hervé Bazin, dans « Le matrimoine », disait :
« Avant de nous marier, nous sortions ensemble,
aujourd'hui, nous rentrons. » (Rires)
C'est dire que la perspective de l'amour n'a rien de particulièrement séduisant.
Le bonheur, c'est la même chose.
Le bonheur est associé à l'ennui.
Rappelons-nous les contes de fées :
ils furent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants.
Il ne se passe plus rien. Fin de l'histoire.
C'est vrai sur le plan personnel, mais c'est pareil sur le plan collectif.
Les peuples heureux n'ont pas d'histoire.
Alors, oui !
Si le bonheur est associé à l'ennui, on comprend bien
que seul le malheur est porteur d'intensité.
Et ça n'est pas par hasard
si les médias dominants surfent en permanence sur ce sentiment-là.
Donc du côté de l'amour : problème. Du côté du bonheur : problème.
Du côté du sens : ce n'est pas mieux.
Le sens de la vie est tellement essentiel
aussi bien dans nos vies personnelles que collectives,
que dès qu'on se voit un sens concurrent, on se sent menacé.
Et du même coup,
le sens dans l'histoire humaine est très souvent associé à la guerre :
les guerres du sens,
les guerres de religion, les guerres idéologiques.
Alors ça peut prendre des proportions absolument terribles,
parce que c'est la cause suprême.
Au nom de cette cause, il n'y a même pas les amortisseurs
de l'intérêt, du pouvoir, de l'argent, etc.
Au nom de cette cause, on peut en arriver à tuer.
Le fameux cri de Simon de Montfort au moment des guerres de religion en France :
« Tuer les tous et Dieu reconnaîtra les siens »
est un cri qui a traversé toutes les latitudes,
toutes les périodes.
C'est encore au nom de ce cri
que des semeurs de terreur vont porter la mort.
Alors, là aussi, si le sens est associé à la guerre,
est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés
comme l'évoquait le philosophe Blaise Pascal,
au divertissement ?
Si, effectivement, le choix de l'essentiel,
le choix de mettre en œuvre des rêves
nous conduit en réalité au cauchemar :
vive l'inessentiel, vive le futur, le futile !
Consommons ! Baisons ! Zappons !
Mais en aucun cas, ne suivons l'essentiel !
Et d'ailleurs, on nous le dit bien : l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Si nous sommes confrontés à cette situation,
et là c'est aussi bien une démarche personnelle
que je ressens à cette occasion,
qu'une démarche collective dans des mouvements sociaux,
des mouvements citoyens auxquels je participe,
un en particulier qui s'appelle « Les Jours Heureux »
qui reprend ce flambeau extraordinaire
qui était celui du thème du programme du Conseil National de la Résistance,
qui était capable de dire, au cœur de la tragédie,
au cœur de la nuit noire de l'Occupation,
notre programme, nous allons l'appeler « Les jours heureux ».
Toutes ces questions rassemblées,
je me dis effectivement,
nous ne pouvons avancer
que si nous refusons d'un côté le divertissement -
et, de toute façon, le divertissement nous est interdit
à cause du défi écologique.
Nous ne pouvons pas compenser, dans la boulimie de l'énergie,
dans la boulimie de la consommation,
donc la voie du futile, la voie de la course à la compétition,
nous sera de plus en plus interdite.
Donc il nous faut revenir à l'essentiel. Et revenir à l'essentiel, c'est dire :
est-ce que nous sommes vraiment condamnés
à ce que l'amour soit du côté de la chute,
à ce que le bonheur soit du côté de l'ennui,
à ce que le sens soit du côté de la guerre.
Et là, je découvre, aussi bien dans ma vie personnelle
que dans mes rapports avec les autres, dans ces mouvements collectifs,
que nous ne sommes pas condamnés.
Nous pouvons nous élever en amour.
Nous pouvons vivre à la bonne heure,
dans l'intensité de la présence à la vie.
Nous pouvons faire de la pluralité des traditions de sens,
une formidable chance pour l'humanité.
Oui, mais à une condition essentielle.
Cette condition,
c'est de sortir de la logique de contrôle, de la logique de maîtrise.
Pourquoi nous faut-il sortir de cette logique ?
Prenez la question de l'amour.
Si je veux maîtriser la personne que j'aime,
si je veux la contrôler, si je veux en faire ma possession,
eh bien,
c'est ce que les Grecs appelaient, dans leur échelle d'amour, la pornéïa.
La pornéïa, ce n'est pas de l'amour particulièrement hard sur le plan sexuel,
c'est le fait de considérer l'autre comme un objet de possession.
Si l'autre est objet de ma possession,
je ne peux pas découvrir le mystère de l'autre,
je suis dans le contrôle.
C'est la même chose pour le bonheur.
Si je veux contrôler la vie, si je veux la maîtriser,
si je veux que le temps de vie soit en permanence
un temps contrôlé, programmé, je suis incapable d'accueillir la vie.
Je suis en permanence en tension, en tension avec un T :
la tension de la course, la tension du stress,
la tension de la programmation.
Je ne peux pas être dans l'attention avec un A, l'attention de l'accueil,
l'attention de la pleine présence, l'attention de la pleine conscience
et qui, du même coup, est la source même de la joie,
de la joie d'être profonde qui est une alternative,
comme le disait le philosophe Spinoza, aux passions tristes.
Et c'est la même chose pour le sens.
Si je veux maîtriser, si je veux imposer mon sens à autrui, alors là, oui,
je bascule, soit du côté de la peur,
si j'ai peur du sens d'autrui, soit du côté de la domination,
voire de la guerre, si je veux imposer mon sens.
Inversement, si je considère comme une chance
la pluralité des traditions de sens,
que ce soit des traditions de sagesse, des traditions agnostiques,
des traditions athées, des traditions spirituelles,
des traditions religieuses, peu importe,
à condition que ces traditions soient dans le respect,
dans la tolérance, et dans le pluralisme.
Parce qu'à ce moment-là, effectivement,
dans le vivre ensemble des êtres humains,
les questions du sens sont des questions essentielles
parce que nous savons que nous allons mourir
et par conséquent, vivre en sachant que nous allons mourir
suppose que nous partagions cette question fondamentale :
« Qu'est-ce que ça veut dire pour nous que vivre ? »
Et dans ce chemin-là, comprendre à ce moment-là
que la mort peut être une aide, parce que la mort est précisément
ce qui va nous aider à choisir l'essentiel dans notre propre vie.
« Vis comme, en mourant, tu aimerais avoir vécu »
dit Confucius et dit aussi Sénèque.
Alors, à ce moment-là, oui,
la pluralité des traditions de sens est une chance.
Eh bien, si tous ces éléments se trouvent rassemblés,
alors je peux retrouver le meilleur de mon aspiration de 68,
le meilleur de mon aspiration à changer le monde, à changer la vie.
Mais, à condition de dire : « Je ne peux changer le monde
que si je change mon rapport au monde.
Je ne peux changer la vie que si je change mon propre rapport à la vie,
que si je sors de la maîtrise, du contrôle,
que si j'accepte d'accueillir la vie,
que si j'accepte d'accueillir le mystère de l'autre dans l'amour. »
Et si tous ces éléments sont réunis, je peux aussi accéder pleinement,
non seulement à l'intime de la transformation personnelle,
mais aussi au meilleur de la transformation collective,
ce que le Forum Social Mondial de Porto Alegre avait appelé l'axe TPTS :
Transformation Personnelle et Transformation Sociale collective
ne s'opposent plus.
Je peux être pleinement citoyen de ce peuple de la Terre,
de cette formidable planète qui, dès que nous la voyons de l'espace,
l'overview effect,
prend tout d'un coup une image extraordinaire
à la fois de beauté et de fragilité.
Et je comprends que l'enjeu politique principal,
c'est aussi celui d'exercer pleinement,
comme le dit Alexandre Jollien, mon métier d'homme.
Eh bien, si je réunis tous ces éléments oui, la question du bonheur,
la question du bien vivre, redevient centrale et je peux dire,
comme nous le disons au sein du collectif des Jours Heureux :
choisir d'être heureux est un acte de résistance politique.
Je vous remercie. (Applaudissements)</poem>
|}


===Juillet 2014 - Forum [http://dialoguesenhumanite.org/ Dialogues en humanité]===
===Juillet 2014 - Forum [http://dialoguesenhumanite.org/ Dialogues en humanité]===
5 714

modifications

Les cookies nous aident à fournir nos services. En utilisant nos services, vous acceptez notre utilisation des cookies.

Menu de navigation