Frédéric Lenoir
De la dualité corps-esprit à la dualité tristesse-joie
Extrait de la vidéo : Frédéric LENOIR, conférence "Le miracle Spinoza", 14.01.2018 correspondant au timing : 49'45" à 53'36".
Source : https://tube.aquilenet.fr/w/m8cLR6g8bYPzvL1CRF6AbK
Transcription
Rien n'est plus démotivant que de faire des choses raisonnables. Il faut faire des choses raisonnables qui nous mettent dans la joie.
Et donc à la différence de la morale kantienne, qui est une morale du devoir : « on doit faire ça parce que c'est un impératif catégorique de la raison », qui est très ennuyeuse, qui fait que moi j'ai connu mes parents, mes grands parents, ils étaient dans cette morale là : « on doit le faire, ça nous rend malheureux, mais on doit le faire ». Et bien Spinoza nous dit « non : vous devez le faire parce que ça vous rend heureux et en même temps parce que c'est une vérité profonde. »
Et donc Spinoza lie la morale, la raison et les émotions. C'est le grand philosophe qui réunit la raison et les émotions.
Il ne les sépare pas et d'ailleurs il va très loin parce qu'il nous dit : « y'a pas de différence entre l'âme et le corps ».
Vous savez que toute la tradition chrétienne jusqu'à Descartes inclus, sépare complètement l'âme et le corps. L'âme, elle est divine, elle est libre, c'est la volonté, l'intelligence et le corps c'est le lieu de la chair, des émotions des tentations de tout ce que vous voulez. Et la morale c'est que l'âme domine le corps. Comme le cocher dominent des chevaux.
Et bien Spinoza n'est pas du tout d'accord avec ça et nous dit il n'y a pas de différence entre l'âme et le corps. Les deux sont mêlés de manière inextricable. Ils sont totalement mêlés. Ils fonctionnent toujours ensemble, il fonctionnent toujours ensemble. Notre esprit s'incarne et est totalement liée à nos émotions. Nous pensons avec nos émotions. Un philosophe triste aura une pensée triste. Un philosophe joyeux comme Montaigne, aura une pensée joyeuse. Nous sommes totalement en interaction permanente entre notre corps émotionnel et notre pensée. Et donc c'est déjà le grand philosophe de la psychosomatique Spinoza. Il nous dit nos pensées influence totalement notre corps. Si j'ai des pensées négatives je vais somatiser, je vais être dans des problèmes physiques. Si j'ai des problèmes physiques ça peut me crée des pensées négatives donc il y a une interférence permanente entre le corps et l'esprit parce que c'est la même chose. Ce sont deux versants différents d'une même montagne.
Et donc finalement ne séparons pas l'âme et le corps, comprenant qu'ils fonctionnent toujours ensemble et essayons de voir comment ensemble ils peuvent nous rendre heureux. Voilà là, la conception de Spinoza : comment ensemble le corps et l'esprit peuvent nous mettre dans la joie.
Et donc il sort de la dualité corps/esprit ou corps/âme pour créer une autre dualité totalement inattendu et totalement inédite dans l'histoire de la pensée : joie/tristesse.
Et il nous dit y'a pas de dualité corps/âme il y a une dualité joie/tristesse.
Donc il passe d'une dualité à l'autre et ça change tout.
C'est qu'à ce moment là vous n'êtes plus dans l'opposition du corps et de l'esprit, vous êtes dans l'union des deux, en vue de la joie.
Voilà la révolution éthique de Spinoza.
Mais d'une joint active. C'est à dire d'une joie fondée sur la raison, c'est à dire sur des idées adéquates. Alors comme il met le désir au centre de tout, au fond il a une sagesse qui valorise le désir. Contrairement à beaucoup de sagesses notamment asiatiques ou ascétique dans des traditions aussi bien occidentale qu'orientale qui ont tendance à dire si on veut grandir spirituellement, il faut diminuer le désir. Parce-que est le désir créé de la souffrance, créé de l'attachement, etc...
Spinoza nous dit : « ça sert à rien. Ce qui fait notre humanité c'est le désir. Le désir est l'essence de l'homme. »
Donc il faut pas diminuer le désir. Il faut réorienter le désir. Et donc le but de la philosophie pour Spinoza, c'est par la raison de nous apprendre :
- à connaître notre nature profonde
- à savoir ce pour quoi nous sommes faits
- qui nous sommes
- et orienter nos désirs vers des choses ou des personnes qui nous mettent dans la joie.