Patrick Viveret/S’engager dans l’écologie politique implique un autre rapport au pouvoir

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Interview

Le philosophe Patrick Vivenet analyse les mutations de la culture de gauche (10/11/2009) liberation.fr

Par MATTHIEU ECOIFFIER

Philosophe et essayiste altermondialiste, Patrick Viveret avait été chargé, sous le gouvernement Jospin, d’une mission visant à redéfinir les indicateurs de richesse. Il est l’un des auteurs de l’ouvrage collectif Pour un nouvel imaginaire politique (1).

En quoi l’écologie politique est-elle est en phase avec un nouvel imaginaire de gauche ?

L’aspiration à une «sobriété heureuse» est présente chez beaucoup d’acteurs dans la société. Europe Ecologie fait partie des acteurs politiques qui expriment le plus cette logique, et en tirent donc un certain nombre de bénéfices. Sauf que s’engager véritablement dans cette voie, que Félix Guattari nomme «écosophie» ou «écologie comportementale», nécessite aussi un changement du rapport au pouvoir. Un pouvoir qui n’est plus considéré comme «à prendre» et dominateur, mais comme créateur. L’écologie politique a encore un vrai travail à faire sur elle-même pour sortir de cette posture classique de «part de marché à gagner» sur ses concurrents politiques. Ce n’est pas la même chose de penser un renouvellement profond de la politique.

Le paradigme écologique est-il un outil pour renouveler le logiciel productiviste de la gauche classique?

C’est une bonne entrée de renouvellement et d’interpellation, mais ce n’est qu’une entrée. Le fait que Nicolas Hulot dise dans son documentaire [le Syndrome du Titanic, ndlr]: «On ne réussira pas le pari écologique sur le dos de la pauvreté», est significatif. On ne peut traiter le défi écologique sans prendre en charge la question sociale et le renouveau de la question économique, en lien avec une nouvelle approche de la richesse et de ses indicateurs. Si on ne travaille pas sur les causes économiques de la croissance insoutenable, on passera à côté du problème. Le rapport Stiglitz fait suite à dix ans de travaux et de conférences internationales reconnaissant que les indicateurs macroéconomiques classiques de type PIB ne permettent pas de répondre aux défis économiques écologique et sociétaux actuels.

Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, vient de bâtir un argumentaire sur une «écologie de droite» «positive», par opposition à une écologie punitive de la décroissance de gauche…

Tous les acteurs, quelle que soit leur famille politique d’origine, sont confrontés au fait que le mode de consommation actuel est insoutenable. La «sobriété heureuse» définie par Pierre Rahbi comprend une acception des limites, une simplicité et des politiques publiques axées sur le «mieux être» parfaitement positives. Le forum de Belém [au Brésil, en janvier 2009, ndlr] a d’ailleurs placé le «bien vivre» au même niveau que les biens communs de l’humanité. On n’est donc pas dans une logique protestataire, mais dans une stratégie positive.

De quoi sortir de la crise actuelle?

Dans ce qui fait le caractère systémique de la crise, il y a le couple formé par la démesure et le mal de vivre. Si on veut en sortir, il faut à la fois construire des alternatives à la démesure, en acceptant des limites, notamment celles dictées par l’écologie, la finitude des ressources naturelles… Mais il faut aussi élaborer des alternatives au mal être. Pour l’heure, nos sociétés restent sur des logiques compensatrices. On compense le stress, la compétition, la destruction de la planète par la promesse de beauté de bonheur d’amitié et de sérénité. C’est la fonction de la publicité de nous vendre cette promesse. Rappelons que les dépenses annuelles pour la publicité représentent dix fois les sommes supplémentaires qu’il faudrait mobiliser annuellement pour financer la lutte contre la faim, les soins de base et l’accès à l’eau potable, selon un rapport du Pnud.

N’y a-t-il pas une évolution dans le rapport au pouvoir?

Les enquêtes de sociologie montrent un changement de posture sur l’écologie, le rapport homme-femme; l’être plutôt que le paraître, l’implication sociale, l’ouverture multiculturelle. Il y a aussi une caractéristique que l’on retrouve chez ceux que les sociologues désignent comme «créatifs culturels» ou «alter-créatifs» : l’aspiration à combiner la transformation personnelle et la transformation sociale au lieu de les opposer. Ces nouvelles aspirations concernent un bon quart des générations de plus de 15 ans: ça fait du monde. A ces aspirations s’ajoute l’attente d’un changement du rapport au pouvoir. On attend qu’il soit un ensemblier, un fédérateur d’énergie.

La gauche est-elle consciente de cette mutation?

Les forces politiques de gauche qui restent dans une logique classique de pouvoir à prendre et à distribuer ne sont pas en phase avec ce changement de posture. Pour les citoyens, la question comportementale et émotionnelle est déterminante. Si les leaders politiques démentent, par leur comportement, ce que leurs discours expriment, cela a des effets dévastateurs. Et pourrait aussi menacer l’écologie politique si elle venait à prendre la grosse tête. Le défi «égologique» est encore plus difficile à traiter que le défi écologique.

(1) Fayard, 2006.