Différences entre les versions de « Mattias Desmet/2025.11.18 »

Aller à la navigation Aller à la recherche
(Page créée avec « vignette vignette vignette ==2025 : Pourquoi l'école nous rend plus bêtes – L'ouverture d'esprit céleste de l'enfant== Source : [https://words.mattiasdesmet.org/p/2025-why-schools-make-us-dumber-the words.mattiasdesmet.org/p/2025-why-schools-make-us-dumber-the] {| class="wikitable" |- !VO!!VF |- | width="47.5%" |I have already shared a few thoug... »)
 
Ligne 1 : Ligne 1 :
[[Fichier:School.png|vignette]]
[[Fichier:School.png|vignette]]
[[Fichier:Mattias with Ladakh childrens.png|vignette]]
[[Fichier:Mattias with Ladakh childrens 2.png|vignette]]
==2025 : Pourquoi l'école nous rend plus bêtes – L'ouverture d'esprit céleste de l'enfant==
==2025 : Pourquoi l'école nous rend plus bêtes – L'ouverture d'esprit céleste de l'enfant==


Ligne 62 : Ligne 59 :




As I write this, it suddenly occurs to me that when I reread writings or diaries from my own young self, I am often pleasantly surprised by what I wrote at that age. Why do we not see children’s capacities? Why do we forget the capacities we ourselves once had as children? Perhaps because we want to maintain the illusion that we are growing and making progress? I do not doubt that many people do in some respects actually grow throughout life. But perhaps they are mainly the people who rediscover the child within themselves? ''“It took me four years to learn to paint like Raphael, but a lifetime to paint like a child.”'' (Picasso.)


|J'ai déjà partagé quelques réflexions sur mon récent séjour dans l'Himalaya, mais il s'est passé autre chose là-bas que je ne veux pas vous cacher. Le troisième jour de la conférence à Leh, j'ai assisté à une table ronde sur la spiritualité, la science et l'écologie. La discussion a eu lieu au Palace Hotel, à la périphérie de la ville. L'hôtel est situé dans le cadre d'un massif montagneux colossal aux couleurs grises et ocres. À quelques centaines de mètres au-dessus de l'hôtel, on peut voir le Lechen Palkhar, palais de l'ancienne dynastie Namgyal datant du XVIIe siècle, et le monastère bouddhiste Namgyal Tsemo Gompa, vieux d'un siècle. Les deux bâtiments sont perchés comme des nids d'hirondelles, moulés contre le flanc de la montagne.
Dans une petite salle à l'avant de l'hôtel, un public restreint s'est rassemblé – une vingtaine de personnes. Elles sont assises à des tables disposées en rectangle. Les trois intervenants sont assis côte à côte à l'extrémité la plus courte du rectangle, la plus proche de la porte. Je ne m'étendrai pas ici sur le contenu de la discussion. Cela n'a guère d'importance pour ce que je veux dire. Je ne suis là qu'en tant qu'auditeur, mais lors de l'échange avec le public à la fin de la conversation, je fais un commentaire assez long sur la relation problématique entre la science et l'université. Il y a quelques réactions approbatrices, puis le temps est écoulé et la réunion est terminée.
Un peu plus tard, je me tiens sous l'auvent à l'entrée de l'hôtel, attendant un taxi pour me conduire à la place principale. Je regarde le crépuscule tomber sur les maisons grises aux toits recouverts de bois de chauffage empilé négligemment. À gauche et à droite, des motos Royal Enfield sont garées devant et contre les murs. Le seul pays où ces icônes de l'Empire britannique sont encore fabriquées est l'Inde. Elles sont utilisées partout ici, témoins énigmatiques de la relation complexe entre colonisateurs et colonisés. Çà et là, des ânes cherchent un endroit où dormir contre un arbre ou un mur. Leurs cris rauques résonnent de manière plaintive dans la lumière argentée de la lune montante. Ils supplient la ville de les cacher aux démons de la nuit qui s'éveillent.
Je sens mes pensées se dissoudre dans l'air infini du soir et je regarde rêveusement les sommets enneigés. Aucun âne ni aucun humain ne peut les perturber, témoins inébranlables de toute la justice qui a déjà été rendue et de tout ce qui reste à venir. Je retombe sur terre – à ma gauche, une petite voix claire retentit. ''« Monsieur, je peux vous poser une question ? »'' Deux yeux noirs d'un petit garçon d'environ douze ans me regardent. ''« Bien sûr.''
''« Qu'est-ce que le totalitarisme ? »'' (Je sens mon visage s'illuminer d'un sourire.)
''« Le mot'' totalitarisme ''désigne un système étatique qui veut contrôler non seulement ce que font les gens dans la rue et sur les marchés, mais aussi dans leur cuisine et leur chambre à coucher. »''
''« Veulent-ils un contrôle total, monsieur ? »''
''« Oui. »''
''« C'est pour cela qu'on appelle cela le totalitarisme ? »'' (Mon sourire s'élargit.)
''« On peut dire ça, oui. »''
''« Pourquoi veulent-ils cela ? »''
''— Parce que parfois, les gens ont tellement soif d'ordre qu'ils en oublient que seul le chaos peut donner naissance à une étoile dansante.'' (Nietzsche prend-il racine dans ce jeune esprit ?)
''« Serez-vous encore là demain, monsieur ? »''
''« Pas demain, mais je serai de retour après-demain. »''
''« Puis-je vous poser encore quelques questions alors ? »''
''« Bien sûr. »''
''« J'apporterai un enregistreur audio. »''
''« Oh, vous allez écrire un article à ce sujet ? »''
''« Non, mais je pourrai réécouter notre conversation plus tard. »'' (Mon taxi arrive.)
''« Comment vous appelez-vous ? »''
''« Maahir, monsieur. »''
''« Et quel âge avez-vous ? »''
''« Treize ans. »''
Tout en me frayant un chemin à travers le dédale de petites rues, j'essaie en vain de me rappeler à quel moment de la table ronde j'ai utilisé le mot ''« totalitarisme ».'' Les enfants de treize ans assistent-ils à des conférences universitaires ici ?
Deux jours plus tard, Maahir est présent, équipé d'un enregistreur numérique et accompagné de quatre camarades. Pendant la pause déjeuner, nous nous asseyons sur les marches derrière la mairie, où se déroulent les conférences de la journée. Avant cette conversation, je n'avais jamais envisagé de donner des conférences pour des enfants. Après, je l'ai fait. La précision de leurs questions sur la vision mécaniste du monde, sur la nature du narcissisme, sur le lien entre totalitarisme et science, sur la manière dont le citoyen ordinaire est totalitaire... Je réalise à quel point l'esprit des enfants comprend plus que je ne le pensais.
|-
| colspan="2" |[[Fichier:Mattias with Ladakh childrens.png|vignette|centré|756x756px]]
|-
|As I write this, it suddenly occurs to me that when I reread writings or diaries from my own young self, I am often pleasantly surprised by what I wrote at that age. Why do we not see children’s capacities? Why do we forget the capacities we ourselves once had as children? Perhaps because we want to maintain the illusion that we are growing and making progress? I do not doubt that many people do in some respects actually grow throughout life. But perhaps they are mainly the people who rediscover the child within themselves? ''“It took me four years to learn to paint like Raphael, but a lifetime to paint like a child.”'' (Picasso.)
Professor of developmental psychology Patricia Kuhl studied the cognitive and linguistic abilities of babies in the first six months of life. Newborn children, quite remarkably, possess perfect knowledge in certain respects. For example, they can distinguish all phonemes of all the world’s languages from one another. An adult needs years to learn this. They also detect, almost instantly and with mathematical precision, complex patterns in the sounds of language and music. They never had to acquire that knowledge or those abilities. It is freely available. Kuhl therefore calls babies “linguistic and mathematical geniuses.” To use Aldous Huxley’s words: they are in direct contact with ''The Mind at Large.''
Professor of developmental psychology Patricia Kuhl studied the cognitive and linguistic abilities of babies in the first six months of life. Newborn children, quite remarkably, possess perfect knowledge in certain respects. For example, they can distinguish all phonemes of all the world’s languages from one another. An adult needs years to learn this. They also detect, almost instantly and with mathematical precision, complex patterns in the sounds of language and music. They never had to acquire that knowledge or those abilities. It is freely available. Kuhl therefore calls babies “linguistic and mathematical geniuses.” To use Aldous Huxley’s words: they are in direct contact with ''The Mind at Large.''


Ligne 91 : Ligne 144 :


Mattias
Mattias
|Au moment où j'écris ces lignes, je me rends compte que lorsque je relis les écrits ou les journaux intimes de ma jeunesse, je suis souvent agréablement surpris par ce que j'ai écrit à cet âge. Pourquoi ne voyons-nous pas les capacités des enfants ? Pourquoi oublions-nous les capacités que nous avions nous-mêmes lorsque nous étions enfants ? Peut-être parce que nous voulons entretenir l'illusion que nous grandissons et progressons ? Je ne doute pas que beaucoup de gens, à certains égards, grandissent effectivement tout au long de leur vie. Mais peut-être s'agit-il principalement de ceux qui redécouvrent l'enfant qui sommeille en eux ? ''« Il m'a fallu quatre ans pour apprendre à peindre comme Raphaël, mais toute une vie pour peindre comme un enfant. » (''Picasso.)
Patricia Kuhl, professeure de psychologie du développement, a étudié les capacités cognitives et linguistiques des bébés au cours des six premiers mois de leur vie. Les nouveau-nés possèdent, de manière tout à fait remarquable, des connaissances parfaites à certains égards. Par exemple, ils peuvent distinguer tous les phonèmes de toutes les langues du monde les uns des autres. Un adulte a besoin de plusieurs années pour acquérir cette capacité. Ils détectent également, presque instantanément et avec une précision mathématique, des schémas complexes dans les sons du langage et de la musique. Ils n'ont jamais eu à acquérir ces connaissances ou ces capacités. Elles leur sont accessibles gratuitement. Kuhl qualifie donc les bébés de « génies linguistiques et mathématiques ». Pour reprendre les mots d'Aldous Huxley, ils sont en contact direct avec ''l'Esprit universel (« Mind at Large »).''


Kuhl puise dans la philosophie romantique du XIXe siècle pour décrire ce phénomène : ''« L'ouverture céleste de l'esprit de l'enfant ».'' Quelque chose chez l'enfant est encore « ouvert ». Cette ouverture forme une source à travers laquelle une conscience cristalline jaillit abondamment dans l'esprit enfantin. Kuhl cherche cette ouverture principalement dans les structures cérébrales du jeune enfant. La biochimie de leur cerveau doit être différente. Je pense que nous devrions chercher ailleurs la réponse à cette énigme. Un enfant dans ses six premiers mois n'a pas encore d'ego. Il n'est pas encore enfermé dans une coquille narcissique. Cette coquille ne se forme que lorsque l'enfant, entre six et neuf mois, se reconnaît pour la première fois dans le miroir. À partir de ce moment, son énergie et son attention commencent à être absorbées par l'image idéale superficielle de son corps.


<nowiki>**</nowiki>The children of Ladakh**
Cette image idéale extérieure, objet de la jouissance de l'Autre, devient une « coquille » psychologique, un mur de narcissisme, qui isole de plus en plus l'enfant en pleine croissance du monde et des autres personnes, et fait en sorte que l'antenne capte de moins en moins ''le « Mind at Large »'' de Huxley. À l'âge de sept ans, la coquille du moi a atteint une telle épaisseur que l'enfant a déjà largement perdu la conscience spontanée des premiers mois de sa vie. À partir de ce moment, par exemple, il doit fournir presque autant d'efforts qu'un adulte pour apprendre à distinguer les phonèmes des langues étrangères. Il faut probablement attendre la fin de l'adolescence pour que la structure de l'ego ait atteint sa cohérence adulte et que presque toutes les connaissances doivent être acquises par une pensée rationnelle laborieuse.


L'ego est une frontière, une frontière entre l'intérieur et l'extérieur. Cette frontière n'est pas une fin en soi. Sa fonction est de garder ce qui est bon à l'intérieur et d'être capable d'expulser les éléments destructeurs vers l'extérieur, afin de les ''exprimer'' littéralement. Notre ego n'est pas conçu pour être le palais de notre vanité ; c'est l'atelier de l'âme. De la même manière, notre intellect n'est pas fait pour être le guide ultime — il est fait pour travailler au service d'une vérité et d'une connaissance qu'il ne peut jamais saisir pleinement. Un intellect qui tente de diriger induira le plus souvent en erreur. C'est, selon mon interprétation, la teneur du livre ''The Master and His Emissary,'' écrit par l'un des véritables géants intellectuels de notre époque, le Dr Iain McGilchrist.
Notre système éducatif a un mérite : il transmet effectivement une quantité substantielle de connaissances rationnelles de génération en génération. Mais en général, même la transmission des connaissances rationnelles est de plus en plus menacée. Quiconque se concentre trop sur une question secondaire dans la vie finit par perdre même cette question secondaire. L'éducation produit de plus en plus d'analphabétisme : ni l'écriture ni la lecture n'atteignent plus un niveau raisonnable, même parmi les personnes hautement qualifiées. Avec l'intelligence artificielle, ce problème va très probablement s'aggraver. Certains experts considèrent déjà que le but premier de l'éducation est d'apprendre aux étudiants à travailler avec l'IA. Après tout, pourquoi un être humain ferait-il ce qu'une machine peut faire ?
Dans un certain sens, c'est là la plus profonde erreur de la culture des Lumières : la véritable connaissance du monde ne vient pas de la pensée rationnelle ; la conscience ne naît pas dans la petite cavité de notre crâne. La conscience existe en dehors de nous, souveraine et intemporelle. Elle nous vient dans les moments de calme, lorsque notre narcissisme s'apaise ; elle s'infiltre partout où elle trouve une fissure ou une ouverture dans notre ego ; elle nous hisse doucement sur son navire, où, l'espace d'un instant, nous cessons de nous accrocher à la fausse bouée de sauvetage de notre petit intellect ; elle ''apparaît'' lorsque, avec des mots sincères, nous brisons le voile des apparences derrière lequel nous cachons si avidement notre nudité.
Il existe un certain lien entre la sincérité ou la vérité et l'intuition. Dans la culture samouraï, cela est bien compris : le guerrier qui ne prononce pas de paroles sincères perd son sixième sens et meurt sur le champ de bataille de la vie''. « Tous les êtres vivants, ainsi que les êtres humains, perdent leur intuition et la conscience de leur subconscient à mesure que le niveau de culture devient de plus en plus élevé. Le pouvoir surnaturel n'est pas une compétence ou une astuce. Il existe dans votre cœur, dans votre sincérité. » (''L'essence du ninjutsu, pp. 49-50).
L'éducation de la culture des Lumières est guidée par l'illusion que la connaissance rationnelle est la boussole qui doit guider le navire de notre vie. L'idéologie sur laquelle repose notre système éducatif n'est pas rationnelle, elle est ''rationaliste'' ; elle nourrit l'illusion d'une compréhension rationnelle ultime. Cette illusion alimente principalement l'ego et nous éloigne de plus en plus de ''l'esprit universel''. Les grands spécialistes de la psychologie des masses et de la propagande ont observé à maintes reprises que plus le niveau d'éducation est élevé, plus les gens se laissent facilement tromper, plus ils sont sensibles à la propagande. Jacques Ellul, peut-être le penseur le plus perspicace dans le domaine de la propagande, estimait que l'enseignement scolaire formel est en fin de compte une forme d'endoctrinement (inconscient) qui rend les enfants vulnérables à la propagande qu'ils rencontreront plus tard dans leur vie.
À ce stade, je me souviens d'un épisode qui s'est produit lorsque j'avais à peine vingt ans. Je me suis rendu en Afrique du Sud et, pour la première fois de ma vie, j'ai parlé avec des enfants qui avaient très peu fréquenté l'école. La précision avec laquelle ils répondaient sans effort à toutes mes questions, la vivacité espiègle avec laquelle ils remettaient en question mes réponses à ''leurs'' questions... Je ne pouvais que conclure qu'une lumière plus vive brillait dans leur esprit que dans celui des enfants européens éduqués. Les jésuites qui ont étudié les cultures indigènes du nord-est de l'Amérique ont fait le même constat : ces esprits non scolarisés surpassent l'élite européenne hautement éduquée tant sur le plan intellectuel que rhétorique.
Maahir et ses amis, avec leur intelligence étincelante et leur sincérité émouvante, sont tous des élèves de l'école Coveda. Cette école combine l'éducation védique précoloniale avec des matières modernes (anglais, mathématiques, etc.). L'école ne rend pas nécessairement plus bête. En repensant à ma propre vie, je dois dire que le système scolaire m'a beaucoup pris, mais m'a aussi beaucoup donné. Comme toutes les institutions, les écoles ont tendance à tomber dans le vice qui est à l'opposé de la vertu qu'elles cherchaient à cultiver à l'origine. Ainsi, l'église devient le terreau de la plus grande immoralité, le tribunal devient le lieu où les humains sont victimes de l'injustice la plus systématisée, la médecine devient l'atteinte la plus sophistiquée à la santé de la population, l'appareil policier acquiert le monopole de la violence gratuite... et les écoles deviennent le lieu où les enfants perdent la raison.
Existe-t-il une éducation qui ne soit pas un endoctrinement ? Un être humain peut-il en enseigner un autre (un enfant) sans l'endoctriner ? Toute éducation qui se fixe comme objectif ultime la connaissance rationnelle ''est'' un endoctrinement et fait le contraire de ce qu'elle devrait faire. La connaissance appartient toujours à une doctrine, à un système, mais un bon système vise en fin de compte toujours à s'abolir lui-même et à se rendre inutile, comme un échafaudage qui est démonté une fois le bâtiment terminé. Avec l'idéalisation de la raison dans la culture des Lumières, cela a été perdu, et le système scolaire s'est répandu comme une tumeur et une tyrannie. L'enfant est essentiellement devenu prisonnier du banc d'école. Placer un être débordant d'énergie printanière sur un banc d'école pendant huit heures par jour est quelque chose que nous considérerons un jour comme une forme de maltraitance.
J'ai été ému et touché par la conversation avec Maahir et ses amis. Je lui ai demandé s'il pouvait m'envoyer l'enregistrement. Liesje Breyne a eu la gentillesse d'en faire une transcription, merci beaucoup ! Vous trouverez ci-dessous l'intégralité de la conversation avec les enfants du Ladakh. En lisant la transcription plus tôt dans la journée, j'ai remarqué autre chose : j'ai retrouvé dans mes propres mots quelque chose de la clarté et de la simplicité des enfants. ''Le style, c'est l'homme. L'homme à qui l'on s'adresse.''
Chers amis, je vous présente les voix pétillantes des enfants du Ladakh. Bonne écoute !
Mattias
|-
| colspan="2" |[[Fichier:Mattias with Ladakh childrens 2.png|vignette]]
|-
|<nowiki>**</nowiki>The children of Ladakh**
Sumer (13 years old):
Sumer (13 years old):


Ligne 206 : Ligne 288 :


Children in choir: ''”Thank you, thank you!”''
Children in choir: ''”Thank you, thank you!”''
|J'ai déjà partagé quelques réflexions sur mon récent séjour dans l'Himalaya, mais il s'est passé autre chose là-bas que je ne veux pas vous cacher. Le troisième jour de la conférence à Leh, j'ai assisté à une table ronde sur la spiritualité, la science et l'écologie. La discussion a eu lieu au Palace Hotel, à la périphérie de la ville. L'hôtel est situé dans le cadre d'un massif montagneux colossal aux couleurs grises et ocres. À quelques centaines de mètres au-dessus de l'hôtel, on peut voir le Lechen Palkhar, palais de l'ancienne dynastie Namgyal datant du XVIIe siècle, et le monastère bouddhiste Namgyal Tsemo Gompa, vieux d'un siècle. Les deux bâtiments sont perchés comme des nids d'hirondelles, moulés contre le flanc de la montagne.
|<br />
Dans une petite salle à l'avant de l'hôtel, un public restreint s'est rassemblé – une vingtaine de personnes. Elles sont assises à des tables disposées en rectangle. Les trois intervenants sont assis côte à côte à l'extrémité la plus courte du rectangle, la plus proche de la porte. Je ne m'étendrai pas ici sur le contenu de la discussion. Cela n'a guère d'importance pour ce que je veux dire. Je ne suis là qu'en tant qu'auditeur, mais lors de l'échange avec le public à la fin de la conversation, je fais un commentaire assez long sur la relation problématique entre la science et l'université. Il y a quelques réactions approbatrices, puis le temps est écoulé et la réunion est terminée.
 
Un peu plus tard, je me tiens sous l'auvent à l'entrée de l'hôtel, attendant un taxi pour me conduire à la place principale. Je regarde le crépuscule tomber sur les maisons grises aux toits recouverts de bois de chauffage empilé négligemment. À gauche et à droite, des motos Royal Enfield sont garées devant et contre les murs. Le seul pays où ces icônes de l'Empire britannique sont encore fabriquées est l'Inde. Elles sont utilisées partout ici, témoins énigmatiques de la relation complexe entre colonisateurs et colonisés. Çà et là, des ânes cherchent un endroit où dormir contre un arbre ou un mur. Leurs cris rauques résonnent de manière plaintive dans la lumière argentée de la lune montante. Ils supplient la ville de les cacher aux démons de la nuit qui s'éveillent.
 
Je sens mes pensées se dissoudre dans l'air infini du soir et je regarde rêveusement les sommets enneigés. Aucun âne ni aucun humain ne peut les perturber, témoins inébranlables de toute la justice qui a déjà été rendue et de tout ce qui reste à venir. Je retombe sur terre – à ma gauche, une petite voix claire retentit. ''« Monsieur, je peux vous poser une question ? »'' Deux yeux noirs d'un petit garçon d'environ douze ans me regardent. ''« Bien sûr.''
 
''« Qu'est-ce que le totalitarisme ? »'' (Je sens mon visage s'illuminer d'un sourire.)
 
''« Le mot'' totalitarisme ''désigne un système étatique qui veut contrôler non seulement ce que font les gens dans la rue et sur les marchés, mais aussi dans leur cuisine et leur chambre à coucher. »''
 
''« Veulent-ils un contrôle total, monsieur ? »''
 
''« Oui. »''
 
''« C'est pour cela qu'on appelle cela le totalitarisme ? »'' (Mon sourire s'élargit.)
 
''« On peut dire ça, oui. »''
 
''« Pourquoi veulent-ils cela ? »''
 
''— Parce que parfois, les gens ont tellement soif d'ordre qu'ils en oublient que seul le chaos peut donner naissance à une étoile dansante.'' (Nietzsche prend-il racine dans ce jeune esprit ?)
 
''« Serez-vous encore là demain, monsieur ? »''
 
''« Pas demain, mais je serai de retour après-demain. »''
 
''« Puis-je vous poser encore quelques questions alors ? »''
 
''« Bien sûr. »''
 
''« J'apporterai un enregistreur audio. »''
 
''« Oh, vous allez écrire un article à ce sujet ? »''
 
''« Non, mais je pourrai réécouter notre conversation plus tard. »'' (Mon taxi arrive.)
 
''« Comment vous appelez-vous ? »''
 
''« Maahir, monsieur. »''
 
''« Et quel âge avez-vous ? »''
 
''« Treize ans. »''
 
Tout en me frayant un chemin à travers le dédale de petites rues, j'essaie en vain de me rappeler à quel moment de la table ronde j'ai utilisé le mot ''« totalitarisme ».'' Les enfants de treize ans assistent-ils à des conférences universitaires ici ?
 
Deux jours plus tard, Maahir est présent, équipé d'un enregistreur numérique et accompagné de quatre camarades. Pendant la pause déjeuner, nous nous asseyons sur les marches derrière la mairie, où se déroulent les conférences de la journée. Avant cette conversation, je n'avais jamais envisagé de donner des conférences pour des enfants. Après, je l'ai fait. La précision de leurs questions sur la vision mécaniste du monde, sur la nature du narcissisme, sur le lien entre totalitarisme et science, sur la manière dont le citoyen ordinaire est totalitaire... Je réalise à quel point l'esprit des enfants comprend plus que je ne le pensais.
 
 
Au moment où j'écris ces lignes, je me rends compte que lorsque je relis les écrits ou les journaux intimes de ma jeunesse, je suis souvent agréablement surpris par ce que j'ai écrit à cet âge. Pourquoi ne voyons-nous pas les capacités des enfants ? Pourquoi oublions-nous les capacités que nous avions nous-mêmes lorsque nous étions enfants ? Peut-être parce que nous voulons entretenir l'illusion que nous grandissons et progressons ? Je ne doute pas que beaucoup de gens, à certains égards, grandissent effectivement tout au long de leur vie. Mais peut-être s'agit-il principalement de ceux qui redécouvrent l'enfant qui sommeille en eux ? ''« Il m'a fallu quatre ans pour apprendre à peindre comme Raphaël, mais toute une vie pour peindre comme un enfant. » (''Picasso.)
 
Patricia Kuhl, professeure de psychologie du développement, a étudié les capacités cognitives et linguistiques des bébés au cours des six premiers mois de leur vie. Les nouveau-nés possèdent, de manière tout à fait remarquable, des connaissances parfaites à certains égards. Par exemple, ils peuvent distinguer tous les phonèmes de toutes les langues du monde les uns des autres. Un adulte a besoin de plusieurs années pour acquérir cette capacité. Ils détectent également, presque instantanément et avec une précision mathématique, des schémas complexes dans les sons du langage et de la musique. Ils n'ont jamais eu à acquérir ces connaissances ou ces capacités. Elles leur sont accessibles gratuitement. Kuhl qualifie donc les bébés de « génies linguistiques et mathématiques ». Pour reprendre les mots d'Aldous Huxley, ils sont en contact direct avec ''l'Esprit universel (« Mind at Large »).''
 
Kuhl puise dans la philosophie romantique du XIXe siècle pour décrire ce phénomène : ''« L'ouverture céleste de l'esprit de l'enfant ».'' Quelque chose chez l'enfant est encore « ouvert ». Cette ouverture forme une source à travers laquelle une conscience cristalline jaillit abondamment dans l'esprit enfantin. Kuhl cherche cette ouverture principalement dans les structures cérébrales du jeune enfant. La biochimie de leur cerveau doit être différente. Je pense que nous devrions chercher ailleurs la réponse à cette énigme. Un enfant dans ses six premiers mois n'a pas encore d'ego. Il n'est pas encore enfermé dans une coquille narcissique. Cette coquille ne se forme que lorsque l'enfant, entre six et neuf mois, se reconnaît pour la première fois dans le miroir. À partir de ce moment, son énergie et son attention commencent à être absorbées par l'image idéale superficielle de son corps.
 
Cette image idéale extérieure, objet de la jouissance de l'Autre, devient une « coquille » psychologique, un mur de narcissisme, qui isole de plus en plus l'enfant en pleine croissance du monde et des autres personnes, et fait en sorte que l'antenne capte de moins en moins ''le « Mind at Large »'' de Huxley. À l'âge de sept ans, la coquille du moi a atteint une telle épaisseur que l'enfant a déjà largement perdu la conscience spontanée des premiers mois de sa vie. À partir de ce moment, par exemple, il doit fournir presque autant d'efforts qu'un adulte pour apprendre à distinguer les phonèmes des langues étrangères. Il faut probablement attendre la fin de l'adolescence pour que la structure de l'ego ait atteint sa cohérence adulte et que presque toutes les connaissances doivent être acquises par une pensée rationnelle laborieuse.
 
L'ego est une frontière, une frontière entre l'intérieur et l'extérieur. Cette frontière n'est pas une fin en soi. Sa fonction est de garder ce qui est bon à l'intérieur et d'être capable d'expulser les éléments destructeurs vers l'extérieur, afin de les ''exprimer'' littéralement. Notre ego n'est pas conçu pour être le palais de notre vanité ; c'est l'atelier de l'âme. De la même manière, notre intellect n'est pas fait pour être le guide ultime — il est fait pour travailler au service d'une vérité et d'une connaissance qu'il ne peut jamais saisir pleinement. Un intellect qui tente de diriger induira le plus souvent en erreur. C'est, selon mon interprétation, la teneur du livre ''The Master and His Emissary,'' écrit par l'un des véritables géants intellectuels de notre époque, le Dr Iain McGilchrist.
 
Notre système éducatif a un mérite : il transmet effectivement une quantité substantielle de connaissances rationnelles de génération en génération. Mais en général, même la transmission des connaissances rationnelles est de plus en plus menacée. Quiconque se concentre trop sur une question secondaire dans la vie finit par perdre même cette question secondaire. L'éducation produit de plus en plus d'analphabétisme : ni l'écriture ni la lecture n'atteignent plus un niveau raisonnable, même parmi les personnes hautement qualifiées. Avec l'intelligence artificielle, ce problème va très probablement s'aggraver. Certains experts considèrent déjà que le but premier de l'éducation est d'apprendre aux étudiants à travailler avec l'IA. Après tout, pourquoi un être humain ferait-il ce qu'une machine peut faire ?
 
Dans un certain sens, c'est là la plus profonde erreur de la culture des Lumières : la véritable connaissance du monde ne vient pas de la pensée rationnelle ; la conscience ne naît pas dans la petite cavité de notre crâne. La conscience existe en dehors de nous, souveraine et intemporelle. Elle nous vient dans les moments de calme, lorsque notre narcissisme s'apaise ; elle s'infiltre partout où elle trouve une fissure ou une ouverture dans notre ego ; elle nous hisse doucement sur son navire, où, l'espace d'un instant, nous cessons de nous accrocher à la fausse bouée de sauvetage de notre petit intellect ; elle ''apparaît'' lorsque, avec des mots sincères, nous brisons le voile des apparences derrière lequel nous cachons si avidement notre nudité.
 
Il existe un certain lien entre la sincérité ou la vérité et l'intuition. Dans la culture samouraï, cela est bien compris : le guerrier qui ne prononce pas de paroles sincères perd son sixième sens et meurt sur le champ de bataille de la vie''. « Tous les êtres vivants, ainsi que les êtres humains, perdent leur intuition et la conscience de leur subconscient à mesure que le niveau de culture devient de plus en plus élevé. Le pouvoir surnaturel n'est pas une compétence ou une astuce. Il existe dans votre cœur, dans votre sincérité. » (''L'essence du ninjutsu, pp. 49-50).
 
L'éducation de la culture des Lumières est guidée par l'illusion que la connaissance rationnelle est la boussole qui doit guider le navire de notre vie. L'idéologie sur laquelle repose notre système éducatif n'est pas rationnelle, elle est ''rationaliste'' ; elle nourrit l'illusion d'une compréhension rationnelle ultime. Cette illusion alimente principalement l'ego et nous éloigne de plus en plus de ''l'esprit universel''. Les grands spécialistes de la psychologie des masses et de la propagande ont observé à maintes reprises que plus le niveau d'éducation est élevé, plus les gens se laissent facilement tromper, plus ils sont sensibles à la propagande. Jacques Ellul, peut-être le penseur le plus perspicace dans le domaine de la propagande, estimait que l'enseignement scolaire formel est en fin de compte une forme d'endoctrinement (inconscient) qui rend les enfants vulnérables à la propagande qu'ils rencontreront plus tard dans leur vie.
 
À ce stade, je me souviens d'un épisode qui s'est produit lorsque j'avais à peine vingt ans. Je me suis rendu en Afrique du Sud et, pour la première fois de ma vie, j'ai parlé avec des enfants qui avaient très peu fréquenté l'école. La précision avec laquelle ils répondaient sans effort à toutes mes questions, la vivacité espiègle avec laquelle ils remettaient en question mes réponses à ''leurs'' questions... Je ne pouvais que conclure qu'une lumière plus vive brillait dans leur esprit que dans celui des enfants européens éduqués. Les jésuites qui ont étudié les cultures indigènes du nord-est de l'Amérique ont fait le même constat : ces esprits non scolarisés surpassent l'élite européenne hautement éduquée tant sur le plan intellectuel que rhétorique.
 
Maahir et ses amis, avec leur intelligence étincelante et leur sincérité émouvante, sont tous des élèves de l'école Coveda. Cette école combine l'éducation védique précoloniale avec des matières modernes (anglais, mathématiques, etc.). L'école ne rend pas nécessairement plus bête. En repensant à ma propre vie, je dois dire que le système scolaire m'a beaucoup pris, mais m'a aussi beaucoup donné. Comme toutes les institutions, les écoles ont tendance à tomber dans le vice qui est à l'opposé de la vertu qu'elles cherchaient à cultiver à l'origine. Ainsi, l'église devient le terreau de la plus grande immoralité, le tribunal devient le lieu où les humains sont victimes de l'injustice la plus systématisée, la médecine devient l'atteinte la plus sophistiquée à la santé de la population, l'appareil policier acquiert le monopole de la violence gratuite... et les écoles deviennent le lieu où les enfants perdent la raison.
 
Existe-t-il une éducation qui ne soit pas un endoctrinement ? Un être humain peut-il en enseigner un autre (un enfant) sans l'endoctriner ? Toute éducation qui se fixe comme objectif ultime la connaissance rationnelle ''est'' un endoctrinement et fait le contraire de ce qu'elle devrait faire. La connaissance appartient toujours à une doctrine, à un système, mais un bon système vise en fin de compte toujours à s'abolir lui-même et à se rendre inutile, comme un échafaudage qui est démonté une fois le bâtiment terminé. Avec l'idéalisation de la raison dans la culture des Lumières, cela a été perdu, et le système scolaire s'est répandu comme une tumeur et une tyrannie. L'enfant est essentiellement devenu prisonnier du banc d'école. Placer un être débordant d'énergie printanière sur un banc d'école pendant huit heures par jour est quelque chose que nous considérerons un jour comme une forme de maltraitance.
 
J'ai été ému et touché par la conversation avec Maahir et ses amis. Je lui ai demandé s'il pouvait m'envoyer l'enregistrement. Liesje Breyne a eu la gentillesse d'en faire une transcription, merci beaucoup ! Vous trouverez ci-dessous l'intégralité de la conversation avec les enfants du Ladakh. En lisant la transcription plus tôt dans la journée, j'ai remarqué autre chose : j'ai retrouvé dans mes propres mots quelque chose de la clarté et de la simplicité des enfants. ''Le style, c'est l'homme. L'homme à qui l'on s'adresse.''
 
Chers amis, je vous présente les voix pétillantes des enfants du Ladakh. Bonne écoute !
 
Mattias
 
 
<nowiki>**</nowiki>Les enfants du Ladakh**
<nowiki>**</nowiki>Les enfants du Ladakh**


6 155

modifications

Les cookies nous aident à fournir nos services. En utilisant nos services, vous acceptez notre utilisation des cookies.

Menu de navigation