Différences entre les versions de « Mattias Desmet/2025.06.12 »

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Il est également quelque peu ironique que quelques années après sa mort, le gouvernement ait adopté le « discours prepper » de Yannick. L'Europe recommande désormais de se munir d'urgence d'un kit de survie à la maison. Poutine prépare secrètement un attentat à Bruxelles (une autre théorie du complot du gouvernement). Un kit de survie ne suffira même pas. Nous devons nous armer massivement. Les projets de nouvelles infrastructures militaires se multiplient. Les réserves naturelles doivent céder du terrain ; Poutine est encore plus dangereux que le changement climatique.
Il est également quelque peu ironique que quelques années après sa mort, le gouvernement ait adopté le « discours prepper » de Yannick. L'Europe recommande désormais de se munir d'urgence d'un kit de survie à la maison. Poutine prépare secrètement un attentat à Bruxelles (une autre théorie du complot du gouvernement). Un kit de survie ne suffira même pas. Nous devons nous armer massivement. Les projets de nouvelles infrastructures militaires se multiplient. Les réserves naturelles doivent céder du terrain ; Poutine est encore plus dangereux que le changement climatique.


Le premier ministre belge - qui, en temps normal, est l'un des hommes politiques les plus intelligents et possède d'excellentes connaissances historiques - montre qu'il est prêt à faire de grands sacrifices. Il a publié sur les médias sociaux une photo de son fils nettoyant une terrasse en uniforme militaire ; il est impatient de rejoindre les réservistes. Le ministre de la défense ne peut pas rester en arrière. Il a créé une division au sein de l'armée où les jeunes peuvent se familiariser avec la technologie et les opérations des drones afin de susciter leur intérêt pour l'armée. Il a également posté un dessin de lui en Rambo avec un lance-roquettes. Comparé à ce ministre, Yannick Verdyck est un tendre.
Le premier ministre belge - qui, en temps normal, est l'un des hommes politiques les plus intelligents et possède d'excellentes connaissances historiques - montre qu'il est prêt à faire de grands sacrifices. Il a publié sur les médias sociaux une photo de son fils nettoyant une terrasse en uniforme militaire ; il est impatient de rejoindre les réservistes. Le ministre de la défense ne peut pas rester en arrière. Il a créé une division au sein de l'armée où les jeunes peuvent se familiariser avec la technologie et les opérations des drones afin de susciter leur intérêt pour l'armée. Il a également posté un dessin de lui en Rambo avec un lance-roquettes. Comparé à ce ministre, Yannick Verdyck est un tendre.


Bien sûr, je comprends que Yannick, contrairement à ces ministres, exprime son discours à partir d'un « sentiment anti-gouvernemental ». En d'autres termes : La grande culpabilité de Yannick n'est pas de glorifier les armes mais de s'opposer à l'ordre établi. Les médias l'ont d'ailleurs explicitement mentionné : Yannick était un « penseur anti-gouvernemental ». C'est apparemment devenu un nouveau stigmate systématiquement utilisé dans les médias ces dernières années. Quelqu'un peut-il m'expliquer : depuis quand est-il interdit d'être contre le gouvernement ? Un gouvernement qui interdit l'opposition n'est-il pas par définition une dictature, donc un gouvernement auquel il faut s'opposer ?
Bien sûr, je comprends que Yannick, contrairement à ces ministres, exprime son discours à partir d'un « sentiment anti-gouvernemental ». En d'autres termes : La grande culpabilité de Yannick n'est pas de glorifier les armes mais de s'opposer à l'ordre établi. Les médias l'ont d'ailleurs explicitement mentionné : Yannick était un « penseur anti-gouvernemental ». C'est apparemment devenu un nouveau stigmate systématiquement utilisé dans les médias ces dernières années. Quelqu'un peut-il m'expliquer : depuis quand est-il interdit d'être contre le gouvernement ? Un gouvernement qui interdit l'opposition n'est-il pas par définition une dictature, donc un gouvernement auquel il faut s'opposer ?


Quelques jours après la mort de Yannick, les médias ont plus ou moins abandonné leur théorie du complot. Yannick était en effet un conspirationniste d'extrême droite, un anti-vax, un « prepper » et un anti-gouvernemental, mais il n'avait probablement pas d'armes illégales chez lui, ne préparait probablement pas d'attaque terroriste, et n'a probablement pas tiré sur la police.
Quelques jours après la mort de Yannick, les médias ont plus ou moins abandonné leur théorie du complot. Yannick était en effet un conspirationniste d'extrême droite, un anti-vax, un « prepper » et un anti-gouvernemental, mais il n'avait probablement pas d'armes illégales chez lui, ne préparait probablement pas d'attaque terroriste, et n'a probablement pas tiré sur la police.
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Il m'a fallu quelques jours pour réaliser que les articles de presse sur le terroriste abattu concernaient un jeune homme que j'avais moi-même rencontré à plusieurs reprises. Je me souviens du moment où j'ai réalisé cela de manière choquante. Au début, je n'avais pas fait le lien psychologique entre les photos et les histoires d'horreur dans les journaux et l'homme à qui j'avais parlé quelques fois lors de rassemblements de « corona-sceptiques ».
Il m'a fallu quelques jours pour réaliser que les articles de presse sur le terroriste abattu concernaient un jeune homme que j'avais moi-même rencontré à plusieurs reprises. Je me souviens du moment où j'ai réalisé cela de manière choquante. Au début, je n'avais pas fait le lien psychologique entre les photos et les histoires d'horreur dans les journaux et l'homme à qui j'avais parlé quelques fois lors de rassemblements de « corona-sceptiques ».
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Mais quelle est l'importance d'une image publique ? Une image ne cache-t-elle pas surtout quelque chose d'une personne plutôt que de montrer sa véritable essence ? Une société qui juge uniquement sur l'image est une société qui vit dans l'apparence, une société qui rejette l'essence de l'être humain, une société qui devient inévitablement déshumanisante.
Mais quelle est l'importance d'une image publique ? Une image ne cache-t-elle pas surtout quelque chose d'une personne plutôt que de montrer sa véritable essence ? Une société qui juge uniquement sur l'image est une société qui vit dans l'apparence, une société qui rejette l'essence de l'être humain, une société qui devient inévitablement déshumanisante.


Ceux qui connaissaient Yannick au-delà de l'image savaient qu'il s'agissait d'une personne facile à aimer. Je mets tout le monde au défi de regarder ce podcast avec Yannick. Après l'avoir regardé, dites-moi si vous pouvez encore rester indifférent à sa mort. Vous voyez Yannick tel que je l'ai connu : un interlocuteur un peu timide mais agréable. Il avait des opinions qu'il défendait avec passion mais, pour autant que je sache, il écoutait toujours les opinions des autres. Il laissait également une impression d'intelligence, notamment grâce à ses connaissances extraordinaires en mathématiques, en histoire et en économie. Chaque question que vous lui posiez était un cours gratuit.
Ceux qui connaissaient Yannick au-delà de l'image savaient qu'il s'agissait d'une personne facile à aimer. Je mets tout le monde au défi de regarder ce podcast avec Yannick. Après l'avoir regardé, dites-moi si vous pouvez encore rester indifférent à sa mort. Vous voyez Yannick tel que je l'ai connu : un interlocuteur un peu timide mais agréable. Il avait des opinions qu'il défendait avec passion mais, pour autant que je sache, il écoutait toujours les opinions des autres. Il laissait également une impression d'intelligence, notamment grâce à ses connaissances extraordinaires en mathématiques, en histoire et en économie. Chaque question que vous lui posiez était un cours gratuit.


Si Yannick n'était pas intéressant, il était drôle (souvent les deux à la fois). Il maîtrisait l'art de faire rire les gens sans offenser ni blesser personne. L'humour est une preuve de noblesse ; c'est un cristal formé dans une personne qui a enduré la dureté de l'existence tout en restant humaine. Je n'en sais pas assez sur le parcours de Yannick, mais je lis dans le langage de ses yeux et de son corps la gentillesse de quelqu'un qui a lutté avec la vie. Si je prenais cent photos de Yannick, aucune ne ressemblerait à celles que j'ai vues dans les journaux.
Si Yannick n'était pas intéressant, il était drôle (souvent les deux à la fois). Il maîtrisait l'art de faire rire les gens sans offenser ni blesser personne. L'humour est une preuve de noblesse ; c'est un cristal formé dans une personne qui a enduré la dureté de l'existence tout en restant humaine. Je n'en sais pas assez sur le parcours de Yannick, mais je lis dans le langage de ses yeux et de son corps la gentillesse de quelqu'un qui a lutté avec la vie. Si je prenais cent photos de Yannick, aucune ne ressemblerait à celles que j'ai vues dans les journaux.


Ceux qui connaissaient Yannick en tant que personne ont du mal à croire qu'il avait réellement l'intention de commettre un attentat terroriste. Peut-être qu'il s'agissait d'un discours musclé. À mon humble avis, Yannick n'était ni assez bête ni assez violent pour planifier un attentat. Cela ne veut pas dire que cette piste ne doit pas être explorée. L'être humain a plusieurs visages et plusieurs faces cachées. Certains vivent toute leur vie avec un tueur en série sans voir le monstre qui est en lui. Il n'est pas exclu que Yannick, derrière son air timide, intelligent et plein d'humour, ait aussi hébergé un terroriste.
Ceux qui connaissaient Yannick en tant que personne ont du mal à croire qu'il avait réellement l'intention de commettre un attentat terroriste. Peut-être qu'il s'agissait d'un discours musclé. À mon humble avis, Yannick n'était ni assez bête ni assez violent pour planifier un attentat. Cela ne veut pas dire que cette piste ne doit pas être explorée. L'être humain a plusieurs visages et plusieurs faces cachées. Certains vivent toute leur vie avec un tueur en série sans voir le monstre qui est en lui. Il n'est pas exclu que Yannick, derrière son air timide, intelligent et plein d'humour, ait aussi hébergé un terroriste.
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l y a quelques mois, trois ans après la mort de Yannick, un homme qui travaillait dans le domaine militaire m'a demandé de discuter avec lui. Il voulait parler d'un sujet d'importance sociale. Nous nous sommes rencontrés quelques semaines plus tard, en présence de mon assistante. Il m'a parlé d'un problème dans son milieu professionnel qui intéresse effectivement quelqu'un qui écrit sur le totalitarisme. Soudain, son discours a pris un détour. L'homme prétendait savoir exactement comment l'assassinat de Yannick s'était produit. Son histoire est la suivante :
Il y a quelques mois, trois ans après la mort de Yannick, un homme qui travaillait dans le domaine militaire m'a demandé de discuter avec lui. Il voulait parler d'un sujet d'importance sociale. Nous nous sommes rencontrés quelques semaines plus tard, en présence de mon assistante. Il m'a parlé d'un problème dans son milieu professionnel qui intéresse effectivement quelqu'un qui écrit sur le totalitarisme. Soudain, son discours a pris un détour. L'homme prétendait savoir exactement comment l'assassinat de Yannick s'était produit. Son histoire est la suivante :


Dans une organisation dont Yannick était membre, il y avait depuis des années un informateur de la sécurité de l'État. Une relation personnelle s'est développée avec Yannick qui, à la suite d'un incident dans la sphère sentimentale, s'est transformée en hostilité et en rivalité. L'informateur a alors envoyé un rapport à la sécurité de l'État, insistant sur la nécessité d'une enquête : "Yannick Verdyck a des armes chez lui ; il se méfie du gouvernement ; il fait partie d'un réseau de conspirationnistes.
Dans une organisation dont Yannick était membre, il y avait depuis des années un informateur de la sécurité de l'État. Une relation personnelle s'est développée avec Yannick qui, à la suite d'un incident dans la sphère sentimentale, s'est transformée en hostilité et en rivalité. L'informateur a alors envoyé un rapport à la sécurité de l'État, insistant sur la nécessité d'une enquête : "Yannick Verdyck a des armes chez lui ; il se méfie du gouvernement ; il fait partie d'un réseau de conspirationnistes.


La sécurité de l'État n'a pas enquêté plus avant sur le rapport, mais a immédiatement classé Yannick comme une menace pour l'État. Selon mon interlocuteur, cette situation n'est pas exceptionnelle. La sécurité de l'État est financée en fonction du nombre de situations dangereuses. Mieux vaut une situation dangereuse de trop que pas assez. Ils ont immédiatement transmis le rapport de l'informateur à la police, en demandant l'envoi d'une équipe d'intervention spéciale : action immédiate requise, si ce n'est pas ce soir, alors cette nuit. A ce moment-là, aucune équipe néerlandophone n'était disponible. On a donc envoyé des agents francophones. Le 28 septembre 2022, à cinq heures du matin, une unité d'intervention spéciale francophone fait sauter la porte de Yannick à l'aide d'explosifs et pénètre à l'intérieur.
La sécurité de l'État n'a pas enquêté plus avant sur le rapport, mais a immédiatement classé Yannick comme une menace pour l'État. Selon mon interlocuteur, cette situation n'est pas exceptionnelle. La sécurité de l'État est financée en fonction du nombre de situations dangereuses. Mieux vaut une situation dangereuse de trop que pas assez. Ils ont immédiatement transmis le rapport de l'informateur à la police, en demandant l'envoi d'une équipe d'intervention spéciale : action immédiate requise, si ce n'est pas ce soir, alors cette nuit. A ce moment-là, aucune équipe néerlandophone n'était disponible. On a donc envoyé des agents francophones. Le 28 septembre 2022, à cinq heures du matin, une unité d'intervention spéciale francophone fait sauter la porte de Yannick à l'aide d'explosifs et pénètre à l'intérieur.
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Cette histoire n'est pas une théorie du complot. Elle présente la mort de Yannick comme un excès de ce que Hannah Arendt appelle la « tyrannie sans tyran », un système bureaucratique avancé où tout le monde suit des règles (absurdes) et où personne ne se sent responsable :
Cette histoire n'est pas une théorie du complot. Elle présente la mort de Yannick comme un excès de ce que Hannah Arendt appelle la « tyrannie sans tyran », un système bureaucratique avancé où tout le monde suit des règles (absurdes) et où personne ne se sent responsable :


"Dans une bureaucratie pleinement développée, il n'y a plus personne avec qui l'on puisse discuter, à qui l'on puisse présenter des griefs, sur qui l'on puisse exercer les pressions du pouvoir. La bureaucratie est la forme de gouvernement dans laquelle chacun est privé de la liberté politique, du pouvoir d'agir ; car la règle de Personne n'est pas une règle sans règle, et lorsque tous sont également impuissants, nous avons une tyrannie sans tyran". (Arendt, 1970, De la violence)
"Dans une bureaucratie pleinement développée, il n'y a plus personne avec qui l'on puisse discuter, à qui l'on puisse présenter des griefs, sur qui l'on puisse exercer les pressions du pouvoir. La bureaucratie est la forme de gouvernement dans laquelle chacun est privé de la liberté politique, du pouvoir d'agir ; car la règle de Personne n'est pas une règle sans règle, et lorsque tous sont également impuissants, nous avons une tyrannie sans tyran". (Arendt, 1970, De la violence)
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Si la bureaucratie est le meurtrier de Yannick, cela signifie-t-il que personne n'a consciemment voulu le tuer et que personne n'est responsable de sa mort ? « On est responsable de son inconscient », affirmait Sigmund Freud. Je suis d'accord avec Freud. Mais la question de la culpabilité est plus complexe que dans le cas d'un meurtre intentionnel et planifié. Dans ce cas, il n'y a pas de coupable unique, mais plutôt un groupe de semi-coupables, une tumeur temporairement mortelle qui émerge dans un tissu corporel bureaucratique qui a complètement perdu sa résistance naturelle à la pulsion de mort en raison de l'absence de conscience éthique.
Si la bureaucratie est le meurtrier de Yannick, cela signifie-t-il que personne n'a consciemment voulu le tuer et que personne n'est responsable de sa mort ? « On est responsable de son inconscient », affirmait Sigmund Freud. Je suis d'accord avec Freud. Mais la question de la culpabilité est plus complexe que dans le cas d'un meurtre intentionnel et planifié. Dans ce cas, il n'y a pas de coupable unique, mais plutôt un groupe de semi-coupables, une tumeur temporairement mortelle qui émerge dans un tissu corporel bureaucratique qui a complètement perdu sa résistance naturelle à la pulsion de mort en raison de l'absence de conscience éthique.


Intellectuellement et émotionnellement, cette analyse est beaucoup plus stimulante qu'une analyse de la conspiration. Elle nous oblige à considérer les grands problèmes sociétaux de notre époque dans toute leur complexité et à oser poser les questions les plus difficiles : Comment ce Léviathan bureaucratique est-il apparu au cours de la modernité ? Quel est le lien avec la pseudo-rationalité (rationalisme) de la culture des Lumières ? Cette analyse exige que nous transcendions mentalement notre vision rationaliste du monde et que nous vivions notre réalité comme le produit de processus (métaphysiques) qui dépassent en fin de compte toute compréhension rationnelle. Une analyse conspirationniste rend tout cela inutile. La vérité est simple : le problème, c'est l'élite malveillante, et il n'est pas nécessaire de transcender le rationalisme ou la métaphysique pour comprendre la réalité.
Intellectuellement et émotionnellement, cette analyse est beaucoup plus stimulante qu'une analyse de la conspiration. Elle nous oblige à considérer les grands problèmes sociétaux de notre époque dans toute leur complexité et à oser poser les questions les plus difficiles : Comment ce Léviathan bureaucratique est-il apparu au cours de la modernité ? Quel est le lien avec la pseudo-rationalité (rationalisme) de la culture des Lumières ? Cette analyse exige que nous transcendions mentalement notre vision rationaliste du monde et que nous vivions notre réalité comme le produit de processus (métaphysiques) qui dépassent en fin de compte toute compréhension rationnelle. Une analyse conspirationniste rend tout cela inutile. La vérité est simple : le problème, c'est l'élite malveillante, et il n'est pas nécessaire de transcender le rationalisme ou la métaphysique pour comprendre la réalité.


Le plus grand défi, cependant, n'est pas intellectuel mais émotionnel et humain. La théorie du complot simplifie également les choses dans un premier temps. Une fois le grand coupable connu, nous pouvons concentrer sur lui nos émotions débordantes. Il n'est pas nécessaire de voir un reflet de nous-mêmes dans les bureaucrates et la police ; il n'est pas nécessaire de reconnaître que, dans certaines circonstances, nous faisons aussi partie de la tumeur bureaucratique malveillante qui a coûté la vie à Yannick.
Le plus grand défi, cependant, n'est pas intellectuel mais émotionnel et humain. La théorie du complot simplifie également les choses dans un premier temps. Une fois le grand coupable connu, nous pouvons concentrer sur lui nos émotions débordantes. Il n'est pas nécessaire de voir un reflet de nous-mêmes dans les bureaucrates et la police ; il n'est pas nécessaire de reconnaître que, dans certaines circonstances, nous faisons aussi partie de la tumeur bureaucratique malveillante qui a coûté la vie à Yannick.


Les théories du complot, qu'elles émanent du gouvernement ou de dissidents, sont parfois vraies, parfois fausses. Mais elles ont presque toujours tendance à désigner des boucs émissaires et à simplifier à l'excès les intentions humaines. Par exemple, elles ignorent le fait que les humains ne connaissent généralement pas pleinement leurs propres intentions et sont divisés entre toutes sortes de désirs et d'impulsions. En ce sens, une théorie du complot (erronée) fait injure au bouc émissaire, le déshumanise, alors qu'en réalité, il s'agit bien d'une personne, d'une personne étonnamment ordinaire.
Les théories du complot, qu'elles émanent du gouvernement ou de dissidents, sont parfois vraies, parfois fausses. Mais elles ont presque toujours tendance à désigner des boucs émissaires et à simplifier à l'excès les intentions humaines. Par exemple, elles ignorent le fait que les humains ne connaissent généralement pas pleinement leurs propres intentions et sont divisés entre toutes sortes de désirs et d'impulsions. En ce sens, une théorie du complot (erronée) fait injure au bouc émissaire, le déshumanise, alors qu'en réalité, il s'agit bien d'une personne, d'une personne étonnamment ordinaire.
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C'est plus ou moins le message que Hannah Arendt a transmis avec sa « banalité du mal » : le mal n'est pas commis par des personnes exceptionnellement monstrueuses ; il est commis par des personnes étrangement ordinaires et quotidiennes, des personnes qui croient faire le bien mais qui deviennent involontairement des instruments de destruction et de déshumanisation. Ce n'est en aucun cas le privilège de l'élite ; on le trouve à tous les niveaux et, d'une certaine manière, dans chaque être humain (j'y reviendrai dans de futurs articles)
C'est plus ou moins le message que Hannah Arendt a transmis avec sa « banalité du mal » : le mal n'est pas commis par des personnes exceptionnellement monstrueuses ; il est commis par des personnes étrangement ordinaires et quotidiennes, des personnes qui croient faire le bien mais qui deviennent involontairement des instruments de destruction et de déshumanisation. Ce n'est en aucun cas le privilège de l'élite ; on le trouve à tous les niveaux et, d'une certaine manière, dans chaque être humain (j'y reviendrai dans de futurs articles)


Il est difficile de voir les personnes impliquées dans des affaires telles que la mort de Yannick, mais c'est la solution la plus correcte d'un point de vue intellectuel et éthique. C'est le plus grand hommage que nous puissions rendre à Yannick, peut-être la seule chose qui puisse vraiment donner un sens à sa mort absurde.
Il est difficile de voir les personnes impliquées dans des affaires telles que la mort de Yannick, mais c'est la solution la plus correcte d'un point de vue intellectuel et éthique. C'est le plus grand hommage que nous puissions rendre à Yannick, peut-être la seule chose qui puisse vraiment donner un sens à sa mort absurde.

Version du 12 juin 2025 à 23:14

Yannick Verdyck.png

Qui a assassiné Yannick Verdyck ? De la différence entre une conspiration et une tyrannie sans tyran

Source : https://words.mattiasdesmet.org/p/who-murdered-yannick-verdyck

VO VF

On September 28, 2022, Yannick Verdyck—an outspoken critic of corona measures and the government—was shot dead by a special police unit in his home in Antwerp (Belgium). I bring this story back to the surface for two reasons. First, it fits within my series of articles on the usefulness and harm of conspiracy theories. It shows that analyzing this tragic event as a conspiracy might seem the simplest and most logical explanation, but it might still be wrong. Second, to this day, no satisfactory judicial verdict has been reached regarding Yannick’s death. We either sink as a society into indifference or keep the story alive and try to write it in such a way that the Real can truly find rest in it.

The story initially presented by the media went roughly as follows: Yannick was a corona skeptic, far-right conspiracy theorist, anti-vaxxer, prepper, and anti-government thinker. He believed the end of the world was near, had illegal weapons at home, and was preparing a terrorist attack. When the police unit raided his house, he opened fire. The police responded in self-defense and shot Yannick dead. The coverage painted him as a thoroughly antisocial character, emphasizing this with fitting photos—Yannick with deep, dark eyes, demonstratively wearing a gas mask, and so forth.

Note: While the government and media portrayed Yannick Verdyck as a conspiracy theorist, they themselves produced a conspiracy theory: Yannick Verdyck was secretly preparing a terrorist attack with several accomplices. This shows once again how media and government, when push comes to shove, willingly become conspiracy theorists themselves. The remaining question here is: is their conspiracy theory true or false? We will return to that.

It is also somewhat ironic that a few years after his death, the government adopted Yannick’s “prepper discourse.” Europe now recommends urgently having a survival kit at home. Putin is secretly plotting to attack Brussels (another government conspiracy theory). A survival kit alone even won’t be enough. We must massively arm ourselves. Plans for new military infrastructure are mushrooming. Nature reserves have to give way; Putin is even more dangerous than climate change.

The Belgian prime minister—under normal conditions one of the smartest politicians, with excellent historical knowledge—shows he is willing to make great sacrifices. He posted on social media a photo of his son cleaning a terrace in military uniform; he can’t wait to join the reservists. The defense minister cannot stay behind. He established a division within the army where young people can get acquainted with drone technology and operations to spark their interest in the military. He also posted a drawing of himself as Rambo with a rocket launcher. Compared to this minister, Yannick Verdyck is a softy.

Of course, I understand that Yannick, unlike these ministers, expressed his discourse from an “anti-government sentiment.” In other words: Yannick’s great guilt was not in glorifying weaponry but in opposing the established order. The media explicitly mentioned this too: Yannick was an “anti-government thinker.” This has apparently become a new stigma systematically used in the media in recent years. Can someone explain to me: since when is it forbidden to be against the government? Isn’t a government that forbids opposition by definition a dictatorship, thus a government one must oppose?

A few days after Yannick’s death, the media more or less abandoned their conspiracy theory. Yannick was indeed a far-right conspiracy theorist, anti-vaxxer, prepper, and anti-government thinker, but he probably did not have illegal weapons at home, was likely not preparing a terrorist attack, and probably did not shoot at the police.

In a way, the media deserve credit for making this correction, but it only makes it stranger that they do not fundamentally question how Yannick died. Do they really believe that anti-vaxxers and conspiracy theorists, even if they have done nothing illegal, may be taken out by the police? Isn’t this simply legitimizing state terror against dissidents? Moreover, the correction came too late. The conspiracy theory’s toxic sting had already deeply embedded itself in the social fabric. It had already channeled the emotions and turmoil that every new event causes. Once the market stall of public emotions is sold out on a false theory, the truth goes home empty-handed.

***

It took me a few days to realize that the newspaper articles about the shot terrorist were about a young man I had met a few times myself. I remember the moment I shockingly realized this. At first, I had not psychologically connected the photos and horror stories in the papers with the man I had spoken to a few times at gatherings of “corona skeptics.”

Yannick held a master’s degree in mathematics and worked as a gold and silver trader. He was also a weapons dealer and chairman of a shooting club. Indeed, he did not see the future optimistically. Our society is heading into the abyss—social unrest and war are coming. You better prepare. Yannick, in other words, did not have an average profile. He did not hide this on social media either. He regularly posted photos of weapons and warned that soon we would have to take our fate into our own hands. You can still find his posts online if you want. In a society where the state increasingly monopolizes the right to violence and weaponry, Yannick’s self-cultivated public image did not exactly help him.

But how substantial is a public image? Doesn’t an image mostly hide something about a person rather than show their Real essence? A society that judges solely by image is a society living in appearance, a society discarding the essence of the human being, a society inevitably becoming dehumanizing.

Those who knew Yannick beyond the image knew a person easy to like. I challenge everyone to watch this podcast with Yannick. After watching, tell me if you can still remain indifferent to his death. You see Yannick as I knew him: a somewhat shy but pleasant conversationalist. He had opinions he passionately defended but, as far as I know, he always listened to others’ opinions as well. He also made a distinctly intelligent impression, among other things through his extraordinary knowledge of mathematics, history, and economics. Every question you asked him was a free lecture.

If Yannick wasn’t interesting, he was funny (often both at once). He mastered the art of making people laugh without offending or hurting anyone. Good humor shows nobility; it is a crystal formed in a person who has endured the harshness of existence yet remained human. I do not know enough about Yannick’s life path, but I read in the language of his eyes and body the kindness of someone who wrestled with life. If I took a hundred photos of Yannick, none would resemble the ones I saw in the newspapers.

Those who knew Yannick as a person can hardly believe he truly intended to carry out a terrorist attack. Maybe some tough talk—that could be. My humble opinion is that Yannick was neither dumb nor violent enough to plan an attack. That does not mean this line of inquiry shouldn’t be investigated. Humans have many faces and hidden sides. Some live a whole life with a serial killer without seeing the monster in him. We cannot exclude that Yannick, behind his shy, intelligent, and humorous style, also harbored a terrorist.

The problem is not so much that the terrorism hypothesis is being investigated. The problem is that it is currently not being investigated. It must be investigated. The public prosecutor decided in 2024, after a judicial investigation, that Yannick was indeed preparing a terrorist attack but didn’t provide any substantial evidence for it. Is this a trial or a sham trial?

The judicial process followed so far offers no answer to the question why Yannick died. People who sympathize with Yannick often look for the answer in a conspiracy theory: the government deliberately eliminated Yannick, wanted to set an example for the entire government-critical group, and so on. I understand why such ideas make sense to some extent, but they don’t seem plausible to me.

***

A few months ago, three years after Yannick’s death: a man who used to work in the military sphere asked me for a conversation. He wanted to talk about something of social importance. We met a few weeks later, with my assistant present. He told me about an issue within his professional environment that indeed interests someone who writes about totalitarianism. Suddenly, his discourse took a detour. The man claimed to know exactly how the murder of Yannick happened. His story goes as follows:

In an organization where Yannick was a member, there had been an informant for state security for years. A personal relationship developed with Yannick that at some point, due to an incident in the romantic sphere, turned into hostility and rivalry. The informant then sent a report to state security insisting on an investigation: "Yannick Verdyck has weapons at home; he distrusts the government; he is part of a network of conspiracy theorists."

State security did not investigate the report further but immediately classified Yannick as a state threat. According to my interlocutor, this is not exceptional. State security is funded based on the number of dangerous situations. Better one dangerous situation too many than too few. They immediately forwarded the informant’s report to the police, asking for a special intervention team to be sent: immediate action required, if not tonight, then this night. At that moment, no Dutch-speaking team was available. So they sent French-speaking agents. On September 28, 2022, at five in the morning, a French-speaking special intervention unit blew up Yannick’s door with explosives and stormed inside.

Put yourself in Yannick’s position: you’re lying in bed at night, with serious stocks of gold and silver at home. You hear your door being blown up, French-speaking men storm into your house. Indeed—you are convinced you are being attacked by gangsters. Whether Yannick reached for a weapon or not, I don’t know, but the possibility is not negligible. In any case, the police opened fire. When Yannick’s parents were finally allowed to see their son’s body days later, it was riddled with bullets.

This story is not a conspiracy theory. It frames Yannick’s death as an excess of what Hannah Arendt calls “tyranny without a tyrant,” an advanced bureaucratic system where everyone follows (absurd) rules and no one feels responsible:

In a fully developed bureaucracy there is nobody left with whom one can argue, to whom one can present grievances, on whom the pressures of power can be exerted. Bureaucracy is the form of government in which everybody is deprived of political freedom, of the power to act; for the rule by Nobody is not no-rule, and where all are equally powerless, we have a tyranny without a tyrant.” (Arendt, 1970, On Violence)

Was Yannick Verdyck primarily murdered by bureaucracy, a bureaucracy that in its extreme form always becomes absurd and murderous? Bureaucracy stems from the rationalist worldview. It arises from the illusion that human coexistence must be organized based on (pseudo)rational rules instead of a law that truly is law—that is, a law grounded in ethical awareness. In bureaucratic systems, ultimately every law and ethical awareness is lost.

If bureaucracy is Yannick’s murderer, does that mean no one consciously wanted to kill him and no one is responsible for his death? “You are responsible for your unconscious,” Sigmund Freud believed. I agree with Freud. But the question of guilt is more complicated than in the case of an intentional and planned murder. In this case, there is no single culprit but rather a cluster of semi-guilty parties, a temporarily lethal tumor that emerges in a bureaucratic body tissue that has completely lost its natural resistance to the death drive due to the absence of ethical awareness.

Intellectually and emotionally, this analysis is much more challenging than a conspiracy analysis. It requires us to view the great societal problems of our time in all their complexity and to dare to ask the more difficult questions: How exactly did this bureaucratic Leviathan rise during modernity? What is the connection with the pseudo-rationality (rationalism) of Enlightenment culture? This analysis demands that we mentally transcend our rationalistic worldview and experience our reality as a product of (metaphysical) processes that ultimately exceed all rational understanding. A conspiracy analysis makes all that unnecessary. The truth is simple: the problem is the malicious elite, no need for transcendence of rationalism or metaphysics to understand reality.

The greatest challenge, however, is not intellectual but emotional and human. A conspiracy theory also initially makes things seem simpler here. Once the great culprit is known, we can focus our rampant emotions on them. No need to see a reflection of ourselves in the bureaucrats and police; no need to acknowledge that under certain circumstances, we too are part of the malicious bureaucratic tumor that cost Yannick his life.

Conspiracy theories—from both the government and dissidents—are sometimes true and sometimes false. But they almost always tend to scapegoat and excessively simplify human intentions. For example, they ignore the fact that humans usually don’t fully know their own intentions and are divided among all kinds of desires and impulses. In that sense, an (incorrect) conspiracy theory does injustice to the scapegoat, dehumanizes them, while in reality, they are indeed a person, an astonishingly ordinary person.

That is the greatest challenge for people who now critically approach the dominant (mainstream) narrative: to leave behind psychologically simplistic interpretations. This path is intellectually and humanly much harder. Instead of feverishly hunting the malicious elite, the focus of awakening then lies in confronting and working through our own shadow sides.

This is more or less also the message Hannah Arendt conveyed with her “banality of evil”: evil is not committed by exceptionally monstrous people; it is committed by people who are strangely ordinary and everyday, people who believe they are doing good but unwittingly become instruments of destruction and dehumanization. This is by no means the privilege of the elite; you find it at all levels and, in a way, in every human being (I will return to this in future articles).

Principally seeing people in those involved in matters like Yannick’s death is difficult but is the most correct intellectually and ethically. It is the greatest tribute we can pay to Yannick, perhaps the only thing that can truly give meaning to his absurd death.

Le 28 septembre 2022, Yannick Verdyck, qui critiquait ouvertement les mesures corona et le gouvernement, a été abattu par une unité spéciale de la police à son domicile d'Anvers (Belgique). Je ramène cette histoire à la surface pour deux raisons. Premièrement, elle s'inscrit dans ma série d'articles sur l'utilité et la nocivité des théories du complot. Elle montre que l'analyse de cet événement tragique comme une conspiration peut sembler l'explication la plus simple et la plus logique, mais qu'elle peut aussi être erronée. Deuxièmement, à ce jour, aucun verdict judiciaire satisfaisant n'a été rendu concernant la mort de Yannick. Soit nous sombrons en tant que société dans l'indifférence, soit nous maintenons l'histoire en vie et essayons de l'écrire de manière à ce que le Réel puisse vraiment y trouver du repos.

L'histoire initialement présentée par les médias était à peu près la suivante : Yannick était un sceptique de Corona, un théoricien de la conspiration d'extrême droite, un anti-vax, un "prepper" et un penseur anti-gouvernemental. Il croyait que la fin du monde était proche, possédait des armes illégales chez lui et préparait une attaque terroriste. Lorsque l'unité de police a fait une descente chez lui, il a ouvert le feu. Les policiers ont réagi en état de légitime défense et ont abattu Yannick. La presse l'a dépeint comme un personnage totalement antisocial, en l'illustrant par des photos appropriées - Yannick aux yeux sombres et profonds, portant de manière démonstrative un masque à gaz, etc.

Note : Alors que le gouvernement et les médias ont présenté Yannick Verdyck comme un conspirationniste, ils ont eux-mêmes produit une théorie du complot : Yannick Verdyck préparait secrètement un attentat terroriste avec plusieurs complices. Cela montre une fois de plus que les médias et les gouvernements, quand il le faut, deviennent eux-mêmes des théoriciens du complot. La question qui se pose ici est la suivante : leur théorie du complot est-elle vraie ou fausse ? Nous y reviendrons.

Il est également quelque peu ironique que quelques années après sa mort, le gouvernement ait adopté le « discours prepper » de Yannick. L'Europe recommande désormais de se munir d'urgence d'un kit de survie à la maison. Poutine prépare secrètement un attentat à Bruxelles (une autre théorie du complot du gouvernement). Un kit de survie ne suffira même pas. Nous devons nous armer massivement. Les projets de nouvelles infrastructures militaires se multiplient. Les réserves naturelles doivent céder du terrain ; Poutine est encore plus dangereux que le changement climatique.

Le premier ministre belge - qui, en temps normal, est l'un des hommes politiques les plus intelligents et possède d'excellentes connaissances historiques - montre qu'il est prêt à faire de grands sacrifices. Il a publié sur les médias sociaux une photo de son fils nettoyant une terrasse en uniforme militaire ; il est impatient de rejoindre les réservistes. Le ministre de la défense ne peut pas rester en arrière. Il a créé une division au sein de l'armée où les jeunes peuvent se familiariser avec la technologie et les opérations des drones afin de susciter leur intérêt pour l'armée. Il a également posté un dessin de lui en Rambo avec un lance-roquettes. Comparé à ce ministre, Yannick Verdyck est un tendre.

Bien sûr, je comprends que Yannick, contrairement à ces ministres, exprime son discours à partir d'un « sentiment anti-gouvernemental ». En d'autres termes : La grande culpabilité de Yannick n'est pas de glorifier les armes mais de s'opposer à l'ordre établi. Les médias l'ont d'ailleurs explicitement mentionné : Yannick était un « penseur anti-gouvernemental ». C'est apparemment devenu un nouveau stigmate systématiquement utilisé dans les médias ces dernières années. Quelqu'un peut-il m'expliquer : depuis quand est-il interdit d'être contre le gouvernement ? Un gouvernement qui interdit l'opposition n'est-il pas par définition une dictature, donc un gouvernement auquel il faut s'opposer ?

Quelques jours après la mort de Yannick, les médias ont plus ou moins abandonné leur théorie du complot. Yannick était en effet un conspirationniste d'extrême droite, un anti-vax, un « prepper » et un anti-gouvernemental, mais il n'avait probablement pas d'armes illégales chez lui, ne préparait probablement pas d'attaque terroriste, et n'a probablement pas tiré sur la police.

D'une certaine manière, les médias ont le mérite d'avoir fait cette correction, mais cela ne fait que rendre plus étrange le fait qu'ils ne remettent pas fondamentalement en question la façon dont Yannick est mort. Croient-ils vraiment que les anti-vax et les conspirationnistes, même s'ils n'ont rien fait d'illégal, peuvent être abattus par la police ? N'est-ce pas tout simplement légitimer la terreur d'État contre les dissidents ? De plus, la correction est arrivée trop tard. L'effet toxique de la théorie du complot s'était déjà profondément ancré dans le tissu social. Elle avait déjà canalisé les émotions et les troubles que tout nouvel événement provoque. Une fois que l'étalage des émotions du public est vendu à une fausse théorie, la vérité repart les mains vides.

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Il m'a fallu quelques jours pour réaliser que les articles de presse sur le terroriste abattu concernaient un jeune homme que j'avais moi-même rencontré à plusieurs reprises. Je me souviens du moment où j'ai réalisé cela de manière choquante. Au début, je n'avais pas fait le lien psychologique entre les photos et les histoires d'horreur dans les journaux et l'homme à qui j'avais parlé quelques fois lors de rassemblements de « corona-sceptiques ».

Yannick était titulaire d'une maîtrise en mathématiques et travaillait comme négociant en or et en argent. Il était également marchand d'armes et président d'un club de tir. En effet, il ne voyait pas l'avenir avec optimisme. Notre société se dirige vers l'abîme, les troubles sociaux et la guerre arrivent. Il faut s'y préparer. Yannick, en d'autres termes, n'avait pas un profil moyen. Il ne le cachait pas non plus sur les médias sociaux. Il publiait régulièrement des photos d'armes et prévenait que nous devrions bientôt prendre notre destin en main. Vous pouvez toujours trouver ses messages en ligne si vous le souhaitez. Dans une société où l'État monopolise de plus en plus le droit à la violence et aux armes, l'image publique que Yannick cultivait lui-même ne l'a pas vraiment aidé.

Mais quelle est l'importance d'une image publique ? Une image ne cache-t-elle pas surtout quelque chose d'une personne plutôt que de montrer sa véritable essence ? Une société qui juge uniquement sur l'image est une société qui vit dans l'apparence, une société qui rejette l'essence de l'être humain, une société qui devient inévitablement déshumanisante.

Ceux qui connaissaient Yannick au-delà de l'image savaient qu'il s'agissait d'une personne facile à aimer. Je mets tout le monde au défi de regarder ce podcast avec Yannick. Après l'avoir regardé, dites-moi si vous pouvez encore rester indifférent à sa mort. Vous voyez Yannick tel que je l'ai connu : un interlocuteur un peu timide mais agréable. Il avait des opinions qu'il défendait avec passion mais, pour autant que je sache, il écoutait toujours les opinions des autres. Il laissait également une impression d'intelligence, notamment grâce à ses connaissances extraordinaires en mathématiques, en histoire et en économie. Chaque question que vous lui posiez était un cours gratuit.

Si Yannick n'était pas intéressant, il était drôle (souvent les deux à la fois). Il maîtrisait l'art de faire rire les gens sans offenser ni blesser personne. L'humour est une preuve de noblesse ; c'est un cristal formé dans une personne qui a enduré la dureté de l'existence tout en restant humaine. Je n'en sais pas assez sur le parcours de Yannick, mais je lis dans le langage de ses yeux et de son corps la gentillesse de quelqu'un qui a lutté avec la vie. Si je prenais cent photos de Yannick, aucune ne ressemblerait à celles que j'ai vues dans les journaux.

Ceux qui connaissaient Yannick en tant que personne ont du mal à croire qu'il avait réellement l'intention de commettre un attentat terroriste. Peut-être qu'il s'agissait d'un discours musclé. À mon humble avis, Yannick n'était ni assez bête ni assez violent pour planifier un attentat. Cela ne veut pas dire que cette piste ne doit pas être explorée. L'être humain a plusieurs visages et plusieurs faces cachées. Certains vivent toute leur vie avec un tueur en série sans voir le monstre qui est en lui. Il n'est pas exclu que Yannick, derrière son air timide, intelligent et plein d'humour, ait aussi hébergé un terroriste.

Le problème n'est pas tant que l'hypothèse du terrorisme soit étudiée. Le problème est qu'elle ne l'est pas actuellement. Elle doit l'être. Le procureur général a décidé en 2024, après une enquête judiciaire, que Yannick préparait bien un attentat terroriste mais n'a pas apporté de preuves substantielles. S'agit-il d'un procès ou d'un simulacre de procès ?

Le processus judiciaire suivi jusqu'à présent n'apporte aucune réponse à la question de savoir pourquoi Yannick est mort. Les personnes qui sympathisent avec Yannick cherchent souvent la réponse dans une théorie du complot : le gouvernement a délibérément éliminé Yannick, il voulait donner l'exemple à tout le groupe critique du gouvernement, etc. Je comprends que de telles idées aient un certain sens, mais elles ne me semblent pas plausibles.

***

l y a quelques mois, trois ans après la mort de Yannick, un homme qui travaillait dans le domaine militaire m'a demandé de discuter avec lui. Il voulait parler d'un sujet d'importance sociale. Nous nous sommes rencontrés quelques semaines plus tard, en présence de mon assistante. Il m'a parlé d'un problème dans son milieu professionnel qui intéresse effectivement quelqu'un qui écrit sur le totalitarisme. Soudain, son discours a pris un détour. L'homme prétendait savoir exactement comment l'assassinat de Yannick s'était produit. Son histoire est la suivante :

Dans une organisation dont Yannick était membre, il y avait depuis des années un informateur de la sécurité de l'État. Une relation personnelle s'est développée avec Yannick qui, à la suite d'un incident dans la sphère sentimentale, s'est transformée en hostilité et en rivalité. L'informateur a alors envoyé un rapport à la sécurité de l'État, insistant sur la nécessité d'une enquête : "Yannick Verdyck a des armes chez lui ; il se méfie du gouvernement ; il fait partie d'un réseau de conspirationnistes.

La sécurité de l'État n'a pas enquêté plus avant sur le rapport, mais a immédiatement classé Yannick comme une menace pour l'État. Selon mon interlocuteur, cette situation n'est pas exceptionnelle. La sécurité de l'État est financée en fonction du nombre de situations dangereuses. Mieux vaut une situation dangereuse de trop que pas assez. Ils ont immédiatement transmis le rapport de l'informateur à la police, en demandant l'envoi d'une équipe d'intervention spéciale : action immédiate requise, si ce n'est pas ce soir, alors cette nuit. A ce moment-là, aucune équipe néerlandophone n'était disponible. On a donc envoyé des agents francophones. Le 28 septembre 2022, à cinq heures du matin, une unité d'intervention spéciale francophone fait sauter la porte de Yannick à l'aide d'explosifs et pénètre à l'intérieur.

Mettez-vous à la place de Yannick : vous êtes couché le soir, avec d'importants stocks d'or et d'argent à la maison. Vous entendez votre porte sauter, des hommes parlant français font irruption dans votre maison. En fait, vous êtes convaincu d'être attaqué par des gangsters. Je ne sais pas si Yannick a pris une arme, mais la possibilité n'est pas négligeable. Quoi qu'il en soit, la police a ouvert le feu. Lorsque les parents de Yannick ont finalement été autorisés à voir le corps de leur fils quelques jours plus tard, celui-ci était criblé de balles.

Cette histoire n'est pas une théorie du complot. Elle présente la mort de Yannick comme un excès de ce que Hannah Arendt appelle la « tyrannie sans tyran », un système bureaucratique avancé où tout le monde suit des règles (absurdes) et où personne ne se sent responsable :

"Dans une bureaucratie pleinement développée, il n'y a plus personne avec qui l'on puisse discuter, à qui l'on puisse présenter des griefs, sur qui l'on puisse exercer les pressions du pouvoir. La bureaucratie est la forme de gouvernement dans laquelle chacun est privé de la liberté politique, du pouvoir d'agir ; car la règle de Personne n'est pas une règle sans règle, et lorsque tous sont également impuissants, nous avons une tyrannie sans tyran". (Arendt, 1970, De la violence)

Yannick Verdyck a-t-il été principalement assassiné par la bureaucratie, une bureaucratie qui, dans sa forme extrême, devient toujours absurde et meurtrière ? La bureaucratie est issue de la vision rationaliste du monde. Elle naît de l'illusion que la coexistence humaine doit être organisée sur la base de règles (pseudo)rationnelles au lieu d'une loi qui soit véritablement une loi, c'est-à-dire une loi fondée sur une conscience éthique. Dans les systèmes bureaucratiques, en fin de compte, toute loi et toute conscience éthique sont perdues.

Si la bureaucratie est le meurtrier de Yannick, cela signifie-t-il que personne n'a consciemment voulu le tuer et que personne n'est responsable de sa mort ? « On est responsable de son inconscient », affirmait Sigmund Freud. Je suis d'accord avec Freud. Mais la question de la culpabilité est plus complexe que dans le cas d'un meurtre intentionnel et planifié. Dans ce cas, il n'y a pas de coupable unique, mais plutôt un groupe de semi-coupables, une tumeur temporairement mortelle qui émerge dans un tissu corporel bureaucratique qui a complètement perdu sa résistance naturelle à la pulsion de mort en raison de l'absence de conscience éthique.

Intellectuellement et émotionnellement, cette analyse est beaucoup plus stimulante qu'une analyse de la conspiration. Elle nous oblige à considérer les grands problèmes sociétaux de notre époque dans toute leur complexité et à oser poser les questions les plus difficiles : Comment ce Léviathan bureaucratique est-il apparu au cours de la modernité ? Quel est le lien avec la pseudo-rationalité (rationalisme) de la culture des Lumières ? Cette analyse exige que nous transcendions mentalement notre vision rationaliste du monde et que nous vivions notre réalité comme le produit de processus (métaphysiques) qui dépassent en fin de compte toute compréhension rationnelle. Une analyse conspirationniste rend tout cela inutile. La vérité est simple : le problème, c'est l'élite malveillante, et il n'est pas nécessaire de transcender le rationalisme ou la métaphysique pour comprendre la réalité.

Le plus grand défi, cependant, n'est pas intellectuel mais émotionnel et humain. La théorie du complot simplifie également les choses dans un premier temps. Une fois le grand coupable connu, nous pouvons concentrer sur lui nos émotions débordantes. Il n'est pas nécessaire de voir un reflet de nous-mêmes dans les bureaucrates et la police ; il n'est pas nécessaire de reconnaître que, dans certaines circonstances, nous faisons aussi partie de la tumeur bureaucratique malveillante qui a coûté la vie à Yannick.

Les théories du complot, qu'elles émanent du gouvernement ou de dissidents, sont parfois vraies, parfois fausses. Mais elles ont presque toujours tendance à désigner des boucs émissaires et à simplifier à l'excès les intentions humaines. Par exemple, elles ignorent le fait que les humains ne connaissent généralement pas pleinement leurs propres intentions et sont divisés entre toutes sortes de désirs et d'impulsions. En ce sens, une théorie du complot (erronée) fait injure au bouc émissaire, le déshumanise, alors qu'en réalité, il s'agit bien d'une personne, d'une personne étonnamment ordinaire.

C'est là le plus grand défi pour les personnes qui abordent aujourd'hui de manière critique le récit dominant (mainstream) : abandonner les interprétations psychologiquement simplistes. Cette voie est intellectuellement et humainement beaucoup plus difficile. Au lieu de chasser fébrilement l'élite malveillante, l'éveil se concentre alors sur la confrontation et le travail avec nos propres parts d'ombre.

C'est plus ou moins le message que Hannah Arendt a transmis avec sa « banalité du mal » : le mal n'est pas commis par des personnes exceptionnellement monstrueuses ; il est commis par des personnes étrangement ordinaires et quotidiennes, des personnes qui croient faire le bien mais qui deviennent involontairement des instruments de destruction et de déshumanisation. Ce n'est en aucun cas le privilège de l'élite ; on le trouve à tous les niveaux et, d'une certaine manière, dans chaque être humain (j'y reviendrai dans de futurs articles)

Il est difficile de voir les personnes impliquées dans des affaires telles que la mort de Yannick, mais c'est la solution la plus correcte d'un point de vue intellectuel et éthique. C'est le plus grand hommage que nous puissions rendre à Yannick, peut-être la seule chose qui puisse vraiment donner un sens à sa mort absurde.

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